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De grands espoirs à Casablanca

 

L’implication iranienne au Sahara occidental a entraîné de graves tensions avec le Maroc. Les relations instables entre les deux pays et les préoccupations relatives à l’influence croissante de l’Iran dans la région offrent une occasion à Israël de renforcer ses relations avec des alliés potentiels dans la lutte contre Téhéran.

La décision prise par le Maroc, en mai 2018, de rompre ses relations diplomatiques avec l’Iran en raison d’allégations selon lesquelles l’Iran interviendrait dans le différend avec l’Algérie, au Sahara occidental a encore aggravé la situation diplomatique iranienne. L’Iran fait face à une campagne diplomatique et économique contre lui, menée par les États-Unis et les pays sunnites modérés dirigés par l’Arabie saoudite.

Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a affirmé qu’il disposait de documents attestant du soutien iranien au Front Polisario, une organisation séparatiste marxiste réclamant l’indépendance de la région du Sahara occidental. Le Maroc affirme que l’Iran, par l’intermédiaire de son ambassade en Algérie, a contribué à l’organisation de réunions entre le Front Polisario et le Hezbollah, cette dernière organisation jouant le rôle de fondé de pouvoir pour l’Iran et ses intérêts. Entre autres choses, les Marocains affirment que le Hezbollah a fait passer en contrebande des armes, notamment un système de missile anti-aérien pouvant être monté sur des camions et une formation militaire dispensée aux membres du Front Polisario.

Le Maroc ne s’est pas arrêté à la rupture de ses relations diplomatiques avec l’Iran. Bourita a ensuite mis en garde les banques et les institutions financières de son pays contre les relations commerciales avec l’Iran, notamment les transferts et transactions avec Téhéran dans les domaines de l’aviation et de l’automobile, l’achat de matières premières et même de tapis fabriqués en Iran. Officiellement, la décision du Maroc découle des sanctions économiques que les États-Unis ont imposées à l’Iran, mais il ne faut pas ignorer le contexte plus large de cette décision, compte tenu des relations bilatérales entre les deux pays.

La confrontation sur le Sahara occidental – une bande de désert le long des côtes de l’océan Atlantique – se poursuit depuis 43 ans. Depuis le second semestre de 1970, le Maroc a dominé la plupart des zones contestées de cette région. À la suite de l’accord de cessez-le-feu signé en 1991 sous les auspices de l’ONU, l’organisation terroriste marxiste s’est retirée et ses dirigeants exercent actuellement leurs activités dans la province de Tindouf, située en Algérie, à proximité de la frontière avec le Maroc. L’organisation a établi un camp de réfugiés dans cette région, où vivaient environ 150 000 Sahraouis au cours des dernières décennies.

En avril dernier, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté une résolution prorogeant le mandat de la mission de maintien de la paix des Nations Unies (MINURSO = Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental) chargée de superviser l’accord de cessez-le-feu dans la région. La résolution a également appelé le Front Polisario à quitter la zone tampon qu’il avait pénétré dans la région de Guerguerat, à l’intérieur du territoire marocain, et à éviter toute action susceptible de déstabiliser la région.

Les tensions entre l’Iran et le Maroc ne sont pas dues au soutien de l’Iran au Front Polisario. En 2009, Rabat a rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran après avoir accusé Téhéran de promouvoir l‘islam chiite au Maroc. En mars 2017, les autorités marocaines ont arrêté un agent du Hezbollah, le financier libanais Kassim Tajideen, arrivé à Casablanca alors qu’il se rendait de Guinée-Bissau à Beyrouth. Selon le département américain du Trésor, Tajideen aurait fourni au Hezbollah environ 1 million de dollars en espèces. Après son arrestation, les Marocains ont extradé Tajideen vers les États-Unis.

Le Maroc a directement reproché à l’Iran de saper la stabilité de la région du Sahara occidental par le biais d’opérations dirigées par l’ambassade d’Iran en Algérie. Selon Rabat, l’attaché culturel iranien en Algérie, Amir al-Musawi, qui était vice-ministre de la Défense, dirigeait un institut de recherche sur la défense et était proche du régime iranien, a participé à la contrebande d’armes du Hezbollah au Front Polisario. à travers l’Algérie.

L’objectif : Influence en Afrique

L’objectif des opérations de l’Iran au Sahara occidental est de saper le Maroc, un pays sunnite modéré, dans le cadre de la politique globale du régime iranien de promotion de la révolution chiite. Le mode de fonctionnement iranien au Sahara occidental est similaire au mode de fonctionnement de Téhéran dans d’autres lieux où les Iraniens sont impliqués et tentent de gagner de l’influence. Les Iraniens utilisent le Hezbollah comme supplétif au Liban. Ils emploient des forces de milice chiites et le Hezbollah en Syrie, des forces de milice chiites en Irak et des Houthis au Yémen. En outre, l’Iran utilise le Jihad islamique dans la bande de Gaza et, dans une certaine mesure, le Hamas.

Un autre objectif de l’Iran, par son soutien au Front Polisario, est de s’implanter de manière stratégique sur les rives de l’océan Atlantique.

Les revendications du Maroc contre le Hezbollah ont permis de mieux comprendre la présence et les activités de l’organisation terroriste chiite en Afrique, sous les auspices de l’Iran. Le département d’Etat américain estime que le Hezbollah entretient depuis le début des années 2000 un réseau de passeurs en contrebande. Selon un rapport publié en 2000 par les Services de renseignement belges, des membres du Hezbollah étaient impliqués dans le commerce et la contrebande de diamants, dans le blanchiment d’argent et dans le financement de l’organisation. En 2004, le Washington Post a cité une source de renseignement selon laquelle le Hezbollah aurait plusieurs sociétés dans des pays africains au sud du Sahara. En 2013, les États-Unis ont ajouté quatre ressortissants libanais à leur liste de sanctions économiques. Les autorités américaines ont accusé les quatre personnes d’avoir collecté des fonds pour le Hezbollah en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Sierra Leone et en Gambie.

L’Iran lui-même a également opéré en Afrique au cours de la dernière décennie, en particulier dans la Corne de l’Afrique et dans des pays d’Afrique de l’Est, tout en aspirant à mettre en œuvre sa politique globale de promotion de la révolution chiite et d’influence militaire, économique et diplomatique.

En tentant d’influencer le continent africain, l’Iran espère créer un bloc de pays anti-occidental qui constituerait un facteur d’équilibre contre l’influence des États-Unis dans le monde et en particulier en Afrique. De plus, l’Iran souhaite contourner les sanctions économiques que les États-Unis lui ont imposées ces dernières années. Un autre objectif iranien est d’établir une présence navale stratégique dans les pays situés le long des rives de la mer Rouge (Érythrée, Djibouti et Soudan) dans le but de lancer des opérations terroristes contre Israël et de dissuader les pays sunnites modérés.

Dans le même temps, l’Iran accorde une grande importance à la présence terrestre, principalement pour la contrebande de systèmes d’armes et d’agents terroristes et le commerce illégal entre le Moyen-Orient et l’Afrique. La principale base de l’activité terrestre des Iraniens est le Soudan, à partir duquel ils ont mené d’importantes opérations de contrebande au cours des dernières décennies, dans la bande de Gaza via le Sinaï.

La principale méthode utilisée par l’Iran pour atteindre ses objectifs consiste à entretenir des relations économiques avec les pays africains, notamment par le biais du commerce du pétrole. L’approche tactique iranienne consiste à s’implanter dans les pays cibles en utilisant des projets d’infrastructures menés par l’Iran dans ces pays.

L’intérêt du Maroc à rompre ses relations avec l’Iran

En ce qui concerne le Maroc, la rupture des relations diplomatiques avec l’Iran et les accusations dirigées contre le régime de Téhéran sont conformes à la politique de l’administration Trump contre les ambitions hégémoniques de l’Iran au Moyen-Orient et son programme nucléaire.

Le Maroc profite peut-être des derniers événements pour assurer le soutien futur des pays sunnites modérés à l’ONU, et les États-Unis pour la mise en œuvre du plan d’autonomie que le Maroc entend appliquer au Sahara Occidental. De plus, le dernier geste diplomatique du Maroc lui permet d’associer le Front Polisario au Hezbollah, en tant que deux organisations terroristes similaires qui refusent la résolution des conflits par des moyens diplomatiques et aspirent à déstabiliser l’Afrique et le Moyen-Orient.

La politique du Maroc le positionne également plus près de la position israélienne sur la question de l’Iran et est compatible avec le réchauffement des relations entre Jérusalem et les pays du Golfe. En 1995, Jérusalem et Rabat ont établi des relations diplomatiques officielles, mais le Maroc les a rompues en 2000 après la deuxième Intifada. Depuis lors, toutefois, les deux pays ont maintenu certaines connexions non officielles. Par exemple, le nombre de touristes israéliens se rendant au Maroc atteint environ 13 000 par an. En 2015, les exportations israéliennes au Maroc se sont chiffrées à environ 23 millions de dollars. Le Maroc respecte l’héritage juif local et maintient la dernière communauté juive importante du monde arabe. La constitution marocaine de 2011 mentionne même la culture juive ou/et hébreue parmi les sources de l’héritage marocain. De plus, autant le Maroc qu’Israël sont membres de l’alliance dirigée par les Etats-Unis contre Daesh et d’autres organisations terroristes sunnites.

La crise entre le Maroc et l’Iran et les intérêts qui se chevauchent de Jérusalem et de Rabat pourraient conduire à un renforcement des relations diplomatiques et économiques entre les deux pays.

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Omer Dostri est chargé de recherche à l’Institut d’études stratégiques de Jérusalem (JISS)

Omer Dostri

israeldefense

Adaptation : Marc Brzustowski

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