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Les frappes sur la Syrie étaient justifiées et nécessaires.
Par Frédéric Encel

Depuis qu’elles ont été menées, les frappes alliées sur les installations chimiques syriennes sont soumises au feu roulant de quatre reproches principaux.
En premier lieu, les occidentaux n’auraient pas respecté le droit international, passant outre les veto russes. Factuellement, l’argument se tient ; ne nous en déplaise, la politique d’obstruction russe au conseil de sécurité (12 veto en sept ans de répression et de guerre ouverte) est légale et ne viole pas le droit établi par la Charte des Nations Unies. Néanmoins un autre, un autre point de droit international prévaut tout autant : du protocole de Genève de 1928 à celui de 2008 en passant par la Convention sur la l’interdiction des armes chimiques de 1993, l’usage de gaz toxiques est strictement prohibé. Et Vladimir Poutine le sait si bien qu’il proposa à Barack Obama, en 2013, de garantir la neutralisation des stocks syriens pour prix de l’abandon par ce dernier de frappe sur son vieil allié proche-oriental. Or Moscou n’a pas su (ou voulu) faire respecter par Assad cet accord conclu dans le cadre de… l’ONU. Autrement dit, ne serait-ce qu’au regard de la responsabilité de protéger (résolution de 2005), il existait un droit d’intervenir, moins pour « punir » que pour détruire des capacités chimiques prohibées.

En second lieu, les occidentaux, les Occidentaux auraient tenté d’affaiblir le pouvoir d’Assad. L’accusation est portée par ceux qui voient de façon paranoïaque des néoconservateurs derrière chaque initiative occidentale au Moyen-Orient. Or voilà bien longtemps que plus personne en Occident ne cherche sérieusement à abattre le régime baasiste alaouite, et à juste titre ; on y aurait risqué des pertes humaines et matérielles lourdes, l’avènement d’un État islamiste radical à Damas, voire pour le coup un vrai conflit avec la Russie. Les frappes de samedi, ciblées et ponctuelles, ne visaient donc évidemment pas la chute d’Assad ni même l’inversion des rapports de force militaires ; géopolitologues, diplomates et officiers savent que ce ne sont pas quelques dizaines de missiles sur des sites techniques qui ruinent un régime, par des armées entières déployées au sol n’y suffisent parfois pas…
En vérité, si Assad n’avait pas recouru–contre des civils et de façon récurrente–aux gaz neurotoxiques, jamais les Occidentaux n’auraient bombardé des cibles liées au pouvoir syrien ; la guerre est une chose, la façon de la mener–sale en l’espèce–en est une autre, d’autant plus que Daech fut toujours la priorité. Bien plus sûrement s’est-il agi de restaurer une crédibilité. Essentielle en géopolitique, la crédibilité correspond moins à une question d’ego qu’à la volonté de défendre ses valeurs et ses intérêts dont on a publiquement averti qu’ils étaient menacés ou bafoués.
Sans crédibilité, pas d’alliés loyaux ni d’adversaires prudents. Dans ce cas de figure, Emmanuel Macron a-t-il voulu mener « sa » guerre, comme le prétendent certains ? Peut-être, mais on reste dans la supputation sinon le propos de comptoir.
En revanche, les faits sont là qui s’imposent : Obama menaça en 2012 et n’agit pas en 2013 ; Macron menaça en 2017 et agit en 2018. Laquelle des deux « lignes rouges » est-elle la plus crédible aux yeux de nos alliés comme de nos adversaires ?…
En troisième lieu, les frappes occidentales auraient failli provoquer une guerre avec Moscou et nous éloigneraient d’une solution diplomatique. On peut critiquer Vladimir Poutine pour la brutalité ou l’unilatéralisme de certaines de ses politiques (annexion de la Crimée, campagne aérienne sur Alep), mais pas pour son aventurisme ; prudent et pragmatique, il joue habilement des rapports de force et offre ainsi une grande prévisibilité.
En l’espèce, il savait ne pas pouvoir répliquer militairement sans coûts potentiellement exorbitants, et s’y serait d’autant moins risquée qu’en bon clausewitzien, il pense que c’est finalement sur le terrain politique que se joue la victoire. Or la sienne est assurée puisque Assad se maintiendra. De fait, Moscou n’aura répliqué aux frappes occidentales que par le truchement d’une résolution (non adoptée) les condamnant, et joué ainsi les bons élèves du Conseil de sécurité.
Enfin, la France aurait docilement suivi les États-Unis, selon le sempiternel mantra des extrémistes de droite et de gauche. Or voici bien l’argument le plus faux et/ou le fantasme le plus tenace !
Non seulement la France est en pointe, depuis au moins la crise de 2013 déjà évoquée, dans la volonté d’empêcher Assad de nuire aux civils syriens via ses armes (entre autres) non conventionnelles, mais encore est-elle motrice et non suiviste sur d’autres théâtres d’opérations diplomatiques ou militaires où Washington fut et demeure à la traîne.
Au Mali et en Centrafrique en 2013 et depuis, face à Daech à ses débuts, dans le dossier israélo-palestinien constamment, vis-à-vis de vis-à-vis de l’Arabie Saoudite (qu’on se souvienne de l’épisode Hariri !), ou encore sur la question du nucléaire iranien, la France contemporaine mène une politique respectée dans le monde et parfaitement indépendante de l’allié américain, notamment grâce au rôle-clé de Jean-Yves le Drian.
L’usage des armes est souvent la traduction d’un échec, mais pas toujours l’incarnation de la justice ou de l’inefficacité. Certains recours à la force permettent d’espérer un mieux pour nombre de civils menacés ; les frappes occidentales sur les sites chimiques syriens l’auront illustré de manière magistrale.

Frédéric Encel

Frédéric Encel est docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris et professeur à la Paris School of business. Consultant et chroniqueur sur France Inter, ainsi que diverses chaines de radio et télévision il est aussi l’auteur de nos nombreux ouvrages dont, géopolitique de la nation France (avec Yves Lacoste en 2016), géopolitique du Printemps arabe (Grand prix de la société de géographie aux éditions quadrige en 2017. Son dernier livre « mon dictionnaire de géopolitique » est passionnant et montre à travers ses connaissances encyclopédiques un véritable humanisme. C’est en outre un professeur qui a la passion d’enseigner et qui la transmet.
Il organise à nouveau pour la troisième année les rencontres de Géopolitique de Trouville qui connaissent un succès toujours grandissant.

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