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Macron et la perversité de la toute-puissance(info # 012305/17)[Analyse]

Par Amram Castellion©Metula News Agency

 

Pour qui veut exercer le pouvoir, mais ne dispose ni d’une légitimité évidente, ni de soutiens forts, ni d’un programme clair, la meilleure solution est de semer la confusion et de détruire méthodiquement tout ce qui pourrait lui faire obstacle.

 

Emmanuel Macron a été élu il y a à peine plus de deux semaines par des électeurs qui, pour près des deux tiers, ne l’avaient pas soutenu au premier tour et ne s’étaient déplacés que pour empêcher l’élection de la candidate populiste Marine Le Pen. Celle-ci avait malgré tout obtenu 34% des voix, alors que son père, quinze ans plus tôt, n’était parvenu qu’à 18% contre Jacques Chirac.

 

Au second tour, malgré un matraquage médiatique incessant pour appeler les Français à voter Macron, l’abstention avait atteint son plus haut niveau depuis 1969 (24%) et le nombre des votes blancs et nuls avait atteint 12%, un record historique absolu dans l’histoire de France.

 

Le président français ne peut donc pas prétendre à un soutien populaire massif. Il a la légitimité technique que lui confère sa victoire, mais rien de plus.

 

Dans ces conditions, la meilleure manière d’asseoir son pouvoir est de recourir, comme le disent ses partisans eux-mêmes, à la « disruption » : miner systématiquement, et détruire si possible, toutes les institutions qui pourraient s’organiser pour limiter l’omnipotence du nouveau satrape.

 

Les partis politiques existants, dont le rôle dans le bon fonctionnement de la démocratie est reconnu par la Constitution française, sont la première de ces institutions. Après leur mauvaise performance aux élections présidentielles, deux des plus importants partis existants – le parti socialiste et le Front national – sont actuellement plongés dans une crise existentielle. Ni l’un ni l’autre n’est certain de pouvoir obtenir les 15 députés qui lui permettraient de constituer un groupe parlementaire dans la prochaine Assemblée.

 

Le principal parti de centre droit, Les Républicains, résiste mieux : selon les sondages, il aura environ 200 députés et devrait constituer la deuxième force politique dans la prochaine assemblée – peut-être même, selon la dynamique politique des prochaines semaines, la première devant le nouveau parti macroniste.

 

Devant le danger de voir se constituer un contre-pouvoir, le prince a entrepris de démobiliser, autant qu’il est en pouvoir, l’opposition de droite. Il a utilisé pour cela deux méthodes éprouvées : le débauchage des personnes et les promesses confuses pour les électeurs.

 

Son nouveau Premier ministre, Edouard Philippe, et ses deux ministres à portefeuille économique, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, sont des transfuges des Républicains. D’autres ministres, comme le nouveau ministre de l’Education Nationale, Jean-Michel Blanquer, sont également considérés comme des personnalités de droite, même s’ils ne sont pas affiliés aux Républicains.

 

Pour compléter le découragement que leur trahison inspirera aux électeurs de droite, Macron a envoyé des messages politiques destinés à les amadouer. Il fait savoir que ses premières actions porteront sur la simplification du droit du travail – un thème cher à la partie libérale de la droite – et sur le rétablissement d’une école méritocratique et centrée sur l’acquisition des savoirs. Le contenu précis des réformes n’est, cependant, pas annoncé à l’avance. Tout le but de l’exercice est d’augmenter le pouvoir du prince, et non de le limiter par des engagements trop détaillés.

 

En même temps qu’il minait les partis politiques existants, Macron a, certes, créé son propre parti. Mais tout est fait pour que le parti macroniste n’ait aucune autonomie vis-à-vis du chef.

 

C’est vrai dans le choix des hommes et des femmes. La grande majorité des candidats macronistes aux prochaines élections législatives – à l’exception d’élus socialistes transfuges, dont la trahison permet de détruire presque entièrement ce qui restait de ce parti – est constituée de seconds couteaux et de recalés des partis traditionnels. Il n’y a personne, parmi eux, qui risque de menacer ou même de limiter le pouvoir du prince.

 

Le désir de toute-puissance personnelle de Macron à travers son parti se traduit même sur le plan symbolique. Le premier sigle du parti macroniste (EM !) était, en toute modestie, constitué des initiales de son fondateur. Après un récent changement de nom, un nouveau sigle – LREM – introduit délibérément la confusion entre ces initiales et le signe du parti Républicain, LR. La seule opposition qui reste au satrape se trouve ainsi symboliquement absorbée dans une référence à son auguste personne.

 

Les deux autres institutions qui pourraient apporter un contre-pouvoir organisé à l’omnipotence du prince sont la presse et la justice. L’une et l’autre, depuis l’élection de Macron, ont été systématiquement humiliées.

 

La presse française – sur instruction de sa poignée de propriétaires, que le nouveau président a pris le temps d’aller charmer individuellement lorsqu’il était candidat – donne le spectacle affligeant d’une concurrence féroce dans la servilité. Après avoir lu article sur article vantant le talent tactique du président, sa jeunesse, son intelligence, la chance qu’a la France de l’avoir élu, l’image restaurée du pays, les excellentes mesures à venir et les délicieuses qualités personnelles de son épouse, on en vient à prendre pitié d’une profession qui ne se vante de son indépendance que pour la sacrifier à genoux à un prince qui la méprise.

 

Comme il est de règle dans les relations sadomasochistes, Macron n’a répondu à cette débauche de servilité que par des humiliations supplémentaires. Le moindre écart à la ligne élyséenne est immédiatement sanctionné, dans les salles de presse, par un appel furieux de l’équipe de communication élyséenne, dirigée par le cireur de Louboutins en chef, Sylvain Fort. Le président a fait savoir que, contrairement à la pratique de ses prédécesseurs, il ne choisirait pas seulement les organes de presse invités à l’accompagner dans des voyages officiels, mais les journalistes à titre individuel. Chacun est donc prévenu que son degré de soumission sera soigneusement mesuré dans la poursuite de sa carrière.

 

Quant à la justice, qui sert souvent de dernier rempart à la liberté dans les démocraties menacées par la mégalomanie d’un chef, son humiliation a été, si possible, encore plus complète que celle de la presse.

 

La justice française a joué un rôle décisif dans le résultat de l’élection. En se précipitant – avec une rapidité littéralement inouïe – pour mettre en examen le candidat des Républicains, François Fillon, les juges ont convaincu un petit nombre d’électeurs de droite que leur candidat n’aurait plus la crédibilité nécessaire pour exercer sa fonction et qu’il valait mieux, dès le premier tour, se prononcer pour Emmanuel Macron. Ce groupe d’électeurs de droite impressionnés par les affaires représente environ un électeur sur trente ou quarante. Leur transition vers Macron est ce qui a assuré sa présence au second tour et, pour finir, sa victoire.

 

Elu grâce à la célérité de la justice pour persécuter son adversaire, on aurait donc pu s’attendre à ce que Macron témoigne de son respect pour cette institution en évitant de nommer des ministres en difficulté sur les affaires judiciaires. Mais tel n’est pas le mode de fonctionnement du nouveau prince. Lorsqu’une personne ou une institution sont à résipiscence devant lui, il veille à les humilier encore davantage pour bien marquer qu’il est la source unique du pouvoir.

 

Macron a donc fait l’effort délicat de nommer un ministre, Bruno Le Maire, dont l’épouse a longtemps été l’attachée parlementaire sans qu’il existe la moindre trace d’un travail effectif –précisément ce qui avait motivé la mise en examen de François Fillon. Et, pour faire bonne mesure, il a nommé ministre de la Justice François Bayrou, un homme politique actuellement mis en examen (pour une affaire de diffamation). Pour faire bonne mesure et enfoncer le clou encore davantage, Macron a chargé Bayrou d’une mission « pour la moralisation de la vie publique ».

 

La justice française, naturellement, ne fera rien contre Le Maire – sauf peut-être plus tard, si cela devenait le bon vouloir du prince. La partialité absolue de nos juges, leur soumission d’esclaves à la volonté présidentielle, ne sont donc pas seulement démontrées : elles sont délibérément rendues visibles pour mieux les humilier.

 

A une échelle plus anecdotique, la constitution en cours des cabinets ministériels montre aussi la volonté de toute-puissance du prince. Les nominations de conseillers, généralement effectuées en quelques heures ou quelques jours, traînent depuis maintenant plus d’une semaine. Les échos des palais ministériels veulent que l’Elysée cherche à tout superviser, remet tout en cause, et intervient régulièrement pour annuler une nomination qui semblait acquise. Certains des fidèles les plus anciens du président, qui l’ont accompagné loyalement dans toute sa campagne, sont encore dans l’incertitude sur leur sort, tremblants et soumis devant son arbitraire majesté.

 

L’ensemble de ces comportements trace un portrait psychologique inquiétant de l’homme qui, pour cinq ans au moins, va présider aux destinées de la France : obsédé de pouvoir, vindicatif, pervers, acharné à détruire tout ce qui ne se plie pas à sa loi. Ceux d’entre nous qui le peuvent encore seront donc incités à aller chercher ailleurs l’air de la liberté.

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