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Marine Le Pen fait la cour aux juifs

 

 

Une partie de la communauté juive prête l'oreille aux idées du FN. Fin d'un tabou.

C'est Jean-François Copé qui savoure un couscous à La Boule rouge, un bistrot franco-tunisien de Paris. Attablée non loin de lui, une famille nombreuse le reconnaît, le salue, lui dit combien il est formidable et promet que chacun des membres votera pour lui en 2017, mais qu'en 2012 leur choix se portera sur Marine Le Pen. "On dit ça, alors que nous sommes juifs !" précise le père. Et Copé, "affligé", de les mettre en garde contre le "double discours" de la fille de l'homme du "détail". En vain.

C'est Thierry Solère, vice-président du conseil général des Hauts-de-Seine, qui, durant les cantonales, tend un tract UMP à une jeune fille fashion de Boulogne-Billancourt arborant à son cou une magen David. "Non, merci ! Moi, c'est Marine Le Pen. La seule qui, demain, nous protégera", le snobe-t-elle.

C'est Valérie Hoffenberg, ancienne présidente de l'American Jewish Committee en France, candidate UMP aux législatives sur la circonscription des Français de l'étranger englobant Israël, qui confie constater une pénétration de certaines idées du "Front" au sein de la communauté juive de France. Même si "cela ne touche qu'une petite minorité", elle se dit profondément inquiète. Une petite minorité que le politologue Jean-Yves Camus évalue à "5 % de la communauté" - pour ce qu'en savent les statisticiens...

C'est donc un fait : en 2012, des juifs - comme, d'ailleurs, des musulmans - voteront pour le Front national. Ou, plutôt, pour Marine Le Pen, l'improbable petite mère des peuples apeurés. La peur, nous y sommes. C'est le fameux cri d'Alain Finkielkraut sur les juifs, qui, "pour la première fois depuis la guerre, ont peur". Lors d'une récente convention du Crif, où une table ronde était consacrée au populisme, Élisabeth Lévy, rédactrice en chef de Causeur, s'est montrée encore plus explicite : "Certains juifs me disent : Nous faisons front avec le FN contre un ennemi commun, le musulman." Le musulman, donc... Ou la menace du barbu, téléspectateur d'Al-Manar TV (la chaîne du Hezbollah), boycotteur du "made in Israel", qui trouve écoute et bienveillance chez certains d'Europe Écologie-Les Verts ou du NPA.

Marine Le Pen l'a bien compris, elle qui, depuis son élection à la présidence du parti, n'a de cesse de donner des gages aux Français de confession juive, tout en pointant l'"islamisation de la société". Dans Le Point, peu après son intronisation, elle s'est de bon gré démarquée de son père sur les chambres à gaz et a affirmé que les camps nazis "ont été le summum de la barbarie". Lorsqu'un "zozo" - comme elle qualifie ce qu'il reste d'antisémites au FN - se fait entendre, elle n'hésite pas à l'exclure. À l'inverse de son père, la contemptrice du communautarisme n'admet plus les envolées antisionistes d'Alain Soral, qu'elle tient à distance du Front. Aussi, en la qualifiant de "prosioniste", elle qui a pourtant salué le vote de la France en faveur de la Palestine à l'Unesco, le banni Farid Smahi, un protégé de Jean-Marie Le Pen, lui rend-il un fier service.

Paradoxe

En toute discrétion, certains de ses proches, au premier rang desquels Louis Aliot, son codirecteur de campagne, font un travail d'approche et de pédagogie auprès d'associations juives. À l'image des pratiques du défunt Cercle national des Français juifs, une structure frontiste dont le but était de séduire les nationalistes juifs dans les années 80. "Le FN contourne les élites représentatives, qui refusent le dialogue, pour s'adresser directement à la base", analyse Jean-Yves Camus, qui soulève un paradoxe : les propositions du FN qui visent à restreindre le halal ou à supprimer la binationalité s'appliqueront de la même façon au kasher et aux Franco-Israéliens, la République n'étant pas à géométrie variable. Selon le politologue, il serait faux d'affirmer que la fille Le Pen est "antisémite ou négationniste", mais elle compterait dans ses rangs des hommes sur lesquels le doute subsiste, tels Bruno Gollnisch, qui tint des propos controversés sur les camps, ou Frédéric Chatillon, ancien président du Gud. "Si on ne voit qu'elle au FN, c'est bien la preuve qu'en coulisse rien n'a changé", renchérit Valérie Hoffenberg, qui se fera un "devoir", durant la présidentielle, de mettre en garde les Français de confession israélite tentés par le FN. "Condamner les camps n'est pas un critère suffisant pour faire du FN un parti républicain", s'élève cette proche de Nicolas Sarkozy.

Responsable de la revue organique Nation Presse, Louis Aliot, dont le grand-père est juif, originaire de Médéa, en Algérie, se targue de compter parmi ses contributeurs un auteur juif, un certain Arnold Lagémi, qui prône l'ouverture vis-à-vis du Front. "C'est bien la preuve qu'il existe plusieurs tendances au sein de la communauté. Il y avait William Goldnadel [avocat, président de France-Israël - NDLR] qui disait du bien de nous, mais, depuis qu'il est au Crif, il a moins de liberté", regrette le compagnon de Marine Le Pen. Une "évolution des rapports" que constate David Rachline, l'ancien chef des Jeunes Frontistes, dont les origines juives se situent en Ukraine et pour qui "les malentendus sont désormais levés".

À l'évidence, pas suffisamment pour permettre à celle qui s'est inscrite à la délégation pour les relations avec Israël au Parlement européen de s'entretenir avec une autorité juive sur le sol français. Un acte symbolique qu'elle accomplira finalement aux États-Unis, lors de son récent déplacement, par l'entremise de Guido Lombardi, un Italo-Américain francophone, proche de la Ligue du Nord, et bien introduit au sein de la communauté juive américaine. C'est lui, selon Aliot, qui est à l'origine de l'entretien entre la présidente du FN et Ron Prosor, l'ambassadeur d'Israël à l'ONU, dont l'initiative a fortement déplu dans son pays. "Un communiqué a évoqué un malentendu, mais cet ambassadeur est un homme expérimenté, qui a été en poste à Berlin, Londres et Washington. Je ne peux pas croire un instant qu'il ne savait pas qui il rencontrait", réagit Jean-Yves Camus. Au journaliste de Valeurs actuelles, le seul présent au moment de l'entretien, Ron Prosor a confié combien son interlocutrice était " intelligente" et qu'il aimerait "la revoir prochainement"... Guido Lombardi, toujours, a permis à Marine Le Pen de rencontrer William Diamond, un membre de l'American Israel Public Affairs Committee (Aipac) et responsable de la synagogue de Palm Beach, en Floride. Un État dans lequel la candidate s'est rendue afin d'y prononcer un discours - à huis clos - devant un parterre de soutiens de Herman Cain, candidat républicain à la Maison-Blanche, et de quelques représentants de la communauté juive locale.

Exercice de séduction

"Je me félicite de ce voyage. La vision que mes interlocuteurs ont eue de moi est différente de celle du Crif", savoure Marine Le Pen, qui a également révélé dans un portrait que lui consacrait l'hebdomadaire Elle sa proximité avec Shana Aghion, une artiste israélienne, chez qui elle rêve d'aller en vacances pour "visiter ce beau pays". Pour l'heure, malgré des déclarations bienveillantes à l'endroit des juifs dans Haaretz et sur une radio nationale, celle qui ambitionne de se recueillir au mémorial de Yad Vashem n'est pas encore la bienvenue en Israël. La "de-demonizer daughter" ("la fille dé-diabolisatrice", selon Haaretz) le dit et le martèle, ce n'est qu'"une question de temps..."

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