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De vos maux putrides et assassins, l’antisémitisme hurlant - Marc Knobel

 

L’historien Marc Knobel décrit avec ses mots, toute l’horreur de l’antisémitisme.

C’est une vidéo qui circule sur X. Le plus tranquillement du monde, avec un petit sourire froid et carnassier, couverte d’un voile, voilà ce qu’une étudiante bien maquillée, rose aux lèvres, du Durham College au Canada débite devant une caméra. « Je soutiens le Hamas, l’Histoire a été écrite par eux. Très fière de mon peuple. Très, très fière. J’adorerai qu’ils recommencent. Et encore, et encore, et encore, et encore, et encore, et encore ». « Non, ce ne sont pas des terroristes. Je soutiens chaque décision. Ce qu‘ils ont fait était historique. Très fière. L’Histoire a été écrite ce jour-là. Bravo au Hamas[1] ». C’est une autre vidéo, qui a été prise le 17 novembre. Dans un amphithéâtre, on entend distinctement des hurlements. Un étudiant debout, éructe de haine et insulte un étudiant juif lors d’un débat à l’University College de Dublin. « Nous vous ferons encore et encore ce qui s’est passé le 7 octobre. Allah Akbar. » « Allah Akbar » retentit dans la salle, c’est la confusion, des étudiants se lèvent et quittent le lieu, pendant que des assesseurs tentent désespérément de calmer plusieurs étudiants[2]. En Australie, un jeune islamiste entre en voiture dans un quartier juif pour tenter de provoquer les habitants. Il a tatoué « 1453 » sur sa main, l’année où les forces musulmanes ont conquis Constantinople. Il se met à insulter des passants[3]. En France, Camille est étudiante. Elle est féministe. Sur Twitter, elle a vu une de ses connaissances, une militante, défendre l’idée du viol de guerre. Pour elle, les Palestiniens ont le droit de violer des femmes juives[4]. Depuis le 7 octobre, Max baisse la tête quand il passe devant ces tags qui ont fleuri un peu partout sur son campus universitaire de Nanterre (Hauts-de-Seine). « C’est assez simple, le matin lorsque j’arrive devant les bâtiments, je vois des inscriptions antisémites. Lorsque je m’assois en amphi, je vois des croix gammées gravées sur les tables. Lorsque je veux écouter mon cours, je dois assister à des interventions d’étudiants pro-Palestine qui viennent nous expliquer que le Hamas a raison », souffle l’étudiant de 21 ans, de confession juive[5].

Toute la journée, je vois se multiplier ces posts, les récits et les articles

Je lis fébrilement les mots, mon ventre se noue, ma tête est compressée, oppressée. Dans ces multiples récits, quelquefois courts, quelquefois longs, chacun tente de raconter le désarroi, la stupéfaction, la sidération, la peur et le chagrin. Les vidéos se succèdent, de courtes séquences, toutes violentes. Des étudiants prêts à en découdre, hurlent. Fanatisés sûrement, en colère sûrement, les voilà qui veulent sauter, arracher, battre, se jeter sur, détruire et casser. Personne ne pourrait les retenir, tant l’ivresse de la vengeance est présente, tant la soif de mort se lit sur les visages, tant l’on entend de leurs bouches sortir les maux acides, tant l’on voit de leurs yeux, le regard assassin.

Je m’arrête de respirer. Je ferme les yeux, mon souffle se fait court. Mon cœur bat plus vite encore lorsque je lis les mots les plus vils, les mots les plus sales, les plus orduriers, ceux qui puisent et boivent des égouts, la fiente et l’odeur putride.

Je mesure cette vague déferlante qui secoue les miens, de partout à la fois.

Je pèse leur désarroi, je mesure la peur et l’effroi. Je frôle le souvenir de l’ivresse des pogroms, je scrute la mort, j’entends le cri de ralliement des bêtes assoiffées, lorsqu’ils crient « Mort aux Juifs ». Je m’arrête sur cette inscription « Un bon Juif est un Juif mort », sur les murs d’une école. C’est là, en six mots toute l’horreur de l’antisémitisme, son rêve ultime, sa seule jouissance.

Qu’est-ce qu’il y a dans ces esprits malades ? Qu’est-ce qu’il y a dans ces esprits dérangés et assassins ? Pour qu’ils se plaisent à jouir ainsi en offrant à la vue de tous et de toutes, les lettres, les mots et les virgules d’une folie furieuse, d’une soif de mort ?

Qu’est-ce que cela dit de la haine qui dévore ces gens ? Qu’est-ce que les « Mort aux Juifs » disent d’elles et d’eux ? Si ce n’est pas de la folie ? Si ce n’est la bestialité ? Si ce n’est l’obscurantisme ? Si ce n’est la monstruosité et le voyeurisme ?

Je dois expliquer cela à des journalistes sans perdre pied, rester maître de mes émotions. Je dois expliquer ce déferlement qui s’abat ici et là, de partout à la fois. Je dois mettre des mots intelligibles, additionner les chiffres, compiler les sondages, contextualiser calmement.

Pourtant, dans ma tête, pendant que je parle, je me demande si l’on comprendra seulement la douleur et la peur ? Si l’on sentira comment et pourquoi les Juifs n’en peuvent plus. Comment et pourquoi appellent-ils à l’aide. Comment et pourquoi ils se replient sur eux-mêmes, avant de quitter notre pays, parce qu’ils ne s’y sentent plus en sécurité.

Je n’ai plus de mots. Lorsque je n’ai plus de mots, c’est que le désespoir me gagne ou la rage.

Il ne me reste plus qu’à fermer mon ordinateur, attendre des jours meilleurs en fermant les yeux afin de s’envoler comme un oiseau au-dessus de cette mêlée folle, de cette mêlée revancharde et assassine. S’élever comme un oiseau, vers la liberté. Au loin, très loin, en haut, très haut de cette folie assassine. Vers un monde qui n’existe pas encore, d’autres cieux, où l’on s’aimera tout simplement, sans jamais offenser, sans jamais détruire, sans jamais vouloir tuer d’un seul sourire, un sourire carnassier, rose aux lèvres.

Marc Knobel est historien, il a publié en 2012, l’Internet de la haine (Berg International, 184 pages). Il publie chez Hermann en 2021, Cyberhaine. Propagande, antisémitisme sur Internet.

[1] https://twitter.com/AntonStruve/status/1725802005908652101

[2] https://twitter.com/AntonStruve/status/1725630655734620536

[3] https://twitter.com/AntonStruve/status/1725212397378367895

[4] https://twitter.com/uejf/status/1716845509116154052

[5] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/mort-aux-juifs-a-la-fac-de-nant...

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