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Charly que j’ai connu, par David Bensoussan

 

Le film Mizrahi, Les oubliés de la Terre promise a été dédié par sa fille Mikhale à mon ami d’enfance Charly Bouganim avec lequel j’avais participé à de nombreux camps et voyages des Éclaireurs israélites du Maroc.

Charly était l’homme de toutes les heures. Petit de taille, les oreilles en ailes papillon, il avait le sourire facile et franc. Durant nos voyages scouts dans l’Atlas ou en Europe, ce Marrakchi relevait tous les défis avec brio et réglait en un rien de temps tous les imprévisibles. Sans parler un seul mot d’espagnol, il était capable de trouver rapidement à Madrid 240 sandwiches, des couverts, des yogourts achetés en gros à l’usine, des permissions officielles pour dormir dans le parc, l’entrée gratuite au musée du Prado pour tout le monde. En Italie, en Suisse, en Espagne ou au Maroc, il était tel un poisson dans l’eau.

Sans demander la permission à qui que ce soit, il traversa plusieurs fois la frontière franco-espagnole pour transborder nos équipements en empruntant la locomotive qui faisait la navette entre les deux côtés de la frontière espagnole, car les dimensions de rails différaient des deux côtés de la frontière. Il traversa plusieurs fois la frontière et organisa le transbordement en catimini des malles contenant des tentes, des outils de menuiserie et des lampes tempête, évitant ainsi les frais exorbitants exigés par le rail espagnol. Alors que nous prenions une pause, il vint annoncer au chef scout d’arrêter les palabres et que tout l’équipement était rendu du côté espagnol prêt à l’embarquement en direction du Maroc. Il n’avait pas froid aux yeux et sa débrouillardise était légendaire.

C’était Charly.

En 1965, nous nous retrouvâmes à l’oulpan de l’Université hébraïque de Jérusalem pour y étudier l’hébreu. Des centaines d’étudiants idéalistes de toutes les nationalités y étaient représentés. En un rien de temps il en devint la coqueluche. Il était en classe du premier niveau et tous ne parlaient que de lui. Sa popularité lui faisait faire des rapprochements linguistiques multilingues à tel point que la pièce de théâtre de la soirée de diplomation l’imagina en tant qu’élève modèle devant un professeur d’hébreu. Ce fut une soirée mémorable.

Ce génie des maths organisa des cours de maths le soir pour ceux qui s’orientaient dans les sciences. Si on manquait de papier à 11 heures du soir, il revenait avec des blocs-notes pour tous et naviguait entre les exemples de probabilité, de transformations géométriques et de calcul d’intégrales complexes avec une aisance rare. Au Maon Tamar, notre résidence étudiante à Haïfa, il était l’âme dirigeante du groupe d’une vingtaine de Marocains du groupe ODED. Il organisait les soirées, les sorties et les pauses bruyantes. À tout problème, il avait une solution simple, rapide et efficace. Rien, absolument rien ne constituait un problème pour lui. Ses yeux malicieux pétillaient alors qu’il nous faisait part de sa solution. Et nous le suivions.

En mai 1967, lorsque les harangues radiophoniques des pays limitrophes promettaient d’égorger les Juifs, nous nous portâmes en bloc volontaires à l’armée, loin d’imaginer la victoire fulgurante que fut la guerre des Six Jours. Nous fûmes postés au kibboutz de Kfar Roupine près de la frontière jordanienne. Nous creusâmes des tranchées jusqu’à en avoir les mains ensanglantées tout en nous entraînant au maniement des armes.

Plus que tout, nous lui devons d’avoir été celui qui proposa de chercher des jeunes Nord-africains dans les villes de développement pour leur proposer d’entreprendre des études en génie au Technion de Haïfa, ce qui ne faisait guère partie de leur plan de carrière. Pour eux, c’était le domaine des autres. À force de persuasion, il convainquit une vingtaine d’entre eux de venir passer l’été à Haïfa pour qu’ils y soient préparés de façon intensive, en leur consacrant tout le temps dont ils pouvaient avoir besoin. « Vous allez vers un échec total, avait réagi le recteur du Technion. Il est logiquement et statistiquement impossible d’avoir un seul succès à l’examen d’entrée au Technion compte tenu des grandes lacunes éducatives qui prévalent dans les villes de développement. » Néanmoins, le recteur mit des locaux à la disposition de ce groupe pour la durée de l’été. Chacun des membres du groupe fut suivi de façon individuelle. Le taux de succès eut l’effet d’une bombe dans l’establishment israélien. Sur les 20 personnes, 14 avaient réussi avec brio leur examen d’entrée, les autres avec la moyenne de passage suffisante.

Cette initiative fut à l’origine de bien d’autres encore, notamment celle de l’année préparatoire d’entrée à l’université pour les ressortissants des villes en voie de développement. Charly fut également impliqué dans la logistique de l’organisation de cours de rattrapage donnés à des écoliers dans l’ensemble du pays par les groupements d’étudiants ODED.

Charly termina ses études en génie et se retrouva à diriger une école technique. Nos chemins se séparèrent. Néanmoins, le groupe d’étudiants marocains du Technion que nous formions nous sommes tenus informés de nos évolutions respectives.

Jamais, au grand jamais, Charly ne permit que l’on formule des critiques immodérées contre les Ashkénazes bien qu’il ait été conscient de ce que les difficultés étaient grandes pour les Juifs orientaux et qu’il était plus facile pour eux de se frayer un chemin de carrière ailleurs qu’en Israël. C’était un homme pragmatique, un positiviste dans l’âme. S’il a eu une certaine empathie pour le mouvement de révolte des panthères noires, il n’en aura certainement pas épousé aveuglément leur cause, car il était avant tout un homme d’action positive prêt à retrousser ses manches devant l’adversité.

La guerre de Kippour souda le pays comme jamais. Un examen de conscience national s’ensuivit en regard des prises de décision en matière de sécurité d’avant le déclenchement de la guerre et les revendications sociales des Panthères noires passèrent au second plan.

Charly fut un idéaliste qui de près ou de loin resta fidèle à son altruisme envers les siens.

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