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Dans la tête de Poutine, par David Bensoussan

Lénine disait qu’il y a des décennies où rien ne se passe et des semaines où se passent des décennies. Il semble que l’on vive un tel moment, car, en l’espace d’une semaine, la guerre froide est revenue et la menace nucléaire a été brandie.

Tous les experts pensaient que Poutine bluffait. L’Europe et même l’Ukraine n’ont pas suffisamment pris au sérieux les alertes du président américain, Joe Biden, et du renseignement britannique relatives à une attaque russe imminente de l’Ukraine. Comment l’équilibre atteint après l’horrible Seconde Guerre mondiale pouvait-il être remis en question de façon aussi crasse ? Qu’est-ce que le président Poutine avait en tête ?

De prime abord, il semble que la population russe elle-même n’ait pas été préparée à une invasion militaire de l’Ukraine. Les discours routiniers de critique de l’Occident se sont mués soudainement en justification de l’invasion en raison d’un génocide… Puis de renchérir avec des accusations de développement d’armes chimiques qui n’ont convaincu personne…

 

La Russie a été traumatisée par la Seconde Guerre mondiale. La mémoire de ses héros et des privations endurées par le peuple russe est cultivée de façon fervente dans le système éducatif et lors des défilés militaires flamboyants. En outre, toute contestation de l’information — strictement contrôlée — est brutalement réprimée.

Il y a eu cependant des indices révélateurs. Lors des conférences sur la sécurité qui se tiennent à Munich, Poutine a rejeté vivement les projets d’incorporation de la Géorgie et de l’Ukraine dans l’OTAN. Il a publié un essai sur l’unité des peuples russe et ukrainien, et chaque soldat russe est forcé d’en prendre connaissance.

Par ailleurs, il fallait s’attendre à ce que la Russie tente d’imposer ses intérêts en Europe compte tenu des budgets formidables investis dans la modernisation de l’armée depuis 2014 et du développement d’armements hypersoniques supérieurs.

La logique de Poutine

Poutine est un grand admirateur de l’écrivain russe blanc en exil Ivan Iline, qui fut un défenseur du fascisme. Opposé à l’État de droit, il considérait que la politique se résume à l’art de neutraliser ses ennemis. Il développa toute une mystique du nationalisme russe, mettant en avant la libération nationale et non pas celle des simples citoyens. En outre, il considérait que l’Ukraine fait partie organiquement de la Russie. Bien des officiels russes aiment citer Iline, les patriarches de l’Église russe orthodoxe y compris. En 2005, Poutine transféra en grande pompe la tombe d’Ivan Iline dans le grand monastère moscovite de Donskoy.

Officier du KGB, Poutine se trouvait à Dresde au moment de la chute du mur de Berlin. Il dut se résoudre à mettre le feu aux archives du KGB. Pour Poutine, la guerre froide ne s’est jamais terminée. L’antiaméricanisme qui prévaut dans ses discours reflète une paranoïa des services secrets de l’ère soviétique. Il n’a jamais accepté l’humiliation de la rétrogradation du statut de superpuissance à celui de puissance du second ordre.

La révolution orange réaffirma l’ancrage de l’Ukraine dans le camp démocratique. Par contre, en Biélorussie, le président prorusse Loukachenko emprisonna ses opposants et se déclara vainqueur en 2020 dans une élection contestée par l’UE en raison de nombreuses irrégularités. Dans le référendum constitutionnel du mois de février 2022, l’obligation de ne pas détenir d’armes nucléaires a été abolie. Des forces militaires russes se trouvent aujourd’hui en Biélorussie et elles attaquent l’Ukraine par le nord.

L’intervention de Poutine en Ukraine répond à sa logique impériale. Si cette présomption est fondée, l’association des pays de l’Europe à l’OTAN leur aura été salutaire et l’OTAN aura protégé les mouvances démocratiques de l’Europe.

L’invasion de l’Ukraine vient démontrer qu’il est sérieux dans ses exigences et qu’il est imperméable aux considérations d’ordre humanitaire.

Idéalement, il aimerait retourner à la situation qui prévalait en 1997, lorsque les pays de l’Europe de l’Est ne faisaient pas partie de l’OTAN, et mettre fin aux projets d’extension de l’OTAN. Le fait que la menace nucléaire a été brandie constitue une escalade notoire. Des missiles nucléaires tactiques peuvent pulvériser des zones ciblées et servir d’avertissement.

L’avenir

Si Poutine pensait se faire acclamer comme libérateur à Kiev, il s’est lourdement trompé. Même les réfugiés russophones d’Ukraine prennent la route de pays autres que la Russie. Si Poutine doutait de l’existence d’une nation ukrainienne, il aura contribué à la consolider et à l’affirmer.

Sur le terrain, la résistance ukrainienne est surprenante et la redoutable Armée rouge a montré des défaillances. Si Poutine prend possession de l’Ukraine de l’Est ou de toute l’Ukraine, il lui sera difficile de contrôler la population ukrainienne. Sa logique risque de l’entraîner vers d’autres interventions.

De la même façon que Poutine ne veut pas reculer et mettre son autorité en danger en Russie même, l’Occident ne peut faire de concessions qui risqueraient de faire revivre le spectre de Munich, lorsque la France et la Grande-Bretagne permirent à Hitler de prendre possession des régions tchécoslovaques peuplées d’Allemands, mettant ainsi un terme à la République tchécoslovaque.

C’était en 1938. La suite est très bien connue.

En raison des développements imprévus, un calcul froid de Poutine pourrait consister à cesser les combats et à négocier un arrangement avec l’Ukraine. Le fera-t-il ?

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