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Le pari de Poutine, par David Bensoussan   

L’ours russe a montré ses crocs et son grognement résonne tous azimuts.

Une activité inhabituelle de drones russes au-dessus des centrales atomiques suédoises et une concentration de navires de débarquement russes près de l’île de Gotland ont mis l’armée suédoise en état d’alerte ; des manœuvres navales au Sud-ouest de l’Irlande se tiennent à l’endroit même où se croisent les câbles transatlantiques reliant l’Europe à l’Amérique ; la flotte russe est entrée en Méditerranée pour y effectuer des manœuvres, outre celles qui se tiennent en Mer Noire ; de futurs exercices navals de la Russie de la Chine et de l’Iran sont annoncés ; ce tableau est complété par le branle-bas de combat à la frontière Est de l’Ukraine et des manœuvres militaires en Biélorussie au Nord de…

Ces mouvements de troupes orchestrés par le président Poutine veulent faire passer un message à l’Occident : il remet en question l’ordre mondial qui s’est établi au lendemain du démantèlement de l’Union soviétique et du Pacte de Varsovie, à commencer par l’OTAN qui a intégré d’anciens pays qui firent autrefois partie de l’Union soviétique.

Son timing est par ailleurs mal choisi. La Chine a demandé à ne pas détourner l’attention internationale des Jeux olympiques d’hiver qui se tiennent à Pékin et qui finissent le 20 février. Le ballet diplomatique en cours temporise l’éventuelle invasion russe de l’Ukraine ou d’une partie de celle-ci. En outre, la raspoutitsa, la saison de la fonte de la neige qui rend les routes boueuses et impraticables approche.

Poutine tente de renverser la tendance qui fait que les pays de l’Europe de l’Est optent franchement pour l’Occident et s’émancipent complètement de l’influence russe. Il a même publié un essai sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens, mais sa lecture n’est pas celle qu’en font la majorité de ces derniers.

Que gagnerait Poutine s’il envahissait l’Ukraine ?

Poutine tient l’Ukraine en otage et se trouve à l’avant-scène. Les puissants de la planète gravitent autour de lui pour tenter d’éviter la conflagration alors qu’il cache ses cartes quant à ses intentions réelles. Il veut remettre en question l’équilibre qui s’est établi en Europe depuis la chute du rideau de fer afin de « désotaniser et finlandiser » ses pays limitrophes.

La flambée des prix de pétrole a grandement enrichi la Russie. Les investissements en armements militaires ont eu la priorité. La cote de Poutine a baissé cette dernière décennie, mais les sondages ont montré qu’elle remonte chaque fois que le nationalisme guerrier fait la une.

Que perdrait Poutine s’il envahissait l’Ukraine ?

La discorde entre Poutine et l’Europe s’est aggravée lorsque la Russie a occupé la Crimée en 2014 et la Russie a fait l’objet de sanctions économiques de la part des États-Unis et de l’Union européenne.

Paradoxalement, Poutine a réussi à renforcer le nationalisme ukrainien, car près de la moitié des russophones d’Ukraine qui constituent 30% de la population ne sont pas intéressés de vivre sous la gouverne russe. Il a également réussi à souder l’Europe à l’Amérique, car la protection américaine est le seul garant contre des visées russes potentielles. Même la Finlande et la Suède revendiquent le droit d’adhérer à l’OTAN.

Une invasion de l’Ukraine serait coûteuse sur plus d’un plan.

Des représailles occidentales se traduiraient par le boycottage des services financiers internationaux, la limitation des exportations technologiques vers la Russie et surtout des pertes économiques considérables : 70% des investissements en Russie proviennent de pays de l’OTAN et 80% des exportations d’énergie de la Russie sont destinés à ces pays

Roulette russe

Les pays de l’Ouest annoncent une invasion russe imminente de l’Ukraine et les séparatistes ukrainiens se dolentent d’une attaque prochaine contre eux par l’Ukraine.

Pour montrer leur solidarité, certains pays de l’OTAN envoient des armes à l’Ukraine et le Président Biden a envoyé un contingent symbolique de 3 000 soldats en Europe. Poutine ne voudra pas perdre la face et reconnaître une victoire de l’Occident s’il n’obtient pas des gains concrets. L’Occident ne voudra pas perdre la face et renoncer à son ambition d’expansion en Europe et ailleurs tout en abandonnant l’Ukraine aux Russes.

Poutine montre ses dents et veut démontrer que l’Amérique d’aujourd’hui est édentée. Une dangereuse escalade de la tension accompagne la lecture des intentions de l’adversaire.

Moscou soutient la position chinoise relativement à Taiwan et Pékin soutient la position russe relativement à l’Ukraine. Les exercices militaires conjoints russo-chinois pourraient indiquer que la Russie préfère la coopération économique et une alliance politico-militaire avec la Chine en vue d’une dédollarisation des échanges internationaux.

Or, les calculs géopolitiques ne tiennent souvent pas compte de réalités humaines : le rideau des propagandes finit par tomber. La population russe est moins dupe qu’on y pense. À moyen terme, une telle réorientation asiatique de la Russie déplairait fortement à la population russe qui a appris à apprécier la culture et le mode de vie occidental et a entrevu l’affranchissement libertaire.

Les accords de Minsk de 2014 visaient à trouver une solution pacifique pour faire cesser les hostilités au Donbass. Ces accords furent plutôt vagues et se prêtaient à l’interprétation. Il serait temps d’y mettre les points sur les i.

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