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Conférence de Wannsee : il y a 80 ans, les nazis planifiaient la Solution finale

 

Le 20 janvier 1942, quinze hauts fonctionnaires du parti nazi et de l’administration allemande se réunissent dans une villa près de Berlin. Connue sous le nom de conférence de Wannsee, cette réunion ne fixe pas la décision de l’assassinat de masse des juifs, car elle a déjà été prise, mais envisage pour la première fois leur sort à l’échelle continentale.

Située au sud-ouest de Berlin, la station balnéaire de Wannsee est entrée sinistrement dans l’histoire le 20 janvier 1942. C’est dans une villa transformée en centre de vacances pour le service de sécurité de la SS que se retrouvent, en ce début d’année, 14 représentants de diverses administrations et organisations nazies. Ils ont été convoqués par Reinhard Heydrich, qui dirige alors l’office central de la sécurité du Reich (RSHA) sous les ordres du chef de la SS Heinrich Himmler. L’ordre du jour porte sur la « Solution finale de la question juive ». La réunion dure moins de deux heures, mais elle reste encore aujourd’hui associée au début de l’entreprise de destruction des juifs d’Europe.

« Dans l’esprit des gens, il y a énormément de problèmes en ce qui concerne Wannsee. Pendant très longtemps, on l’a identifié comme le lieu de la prise de décision, ce qui est absurde », souligne ainsi l’historien français Tal Bruttmann, spécialiste de la Shoah. « Quand vous regardez la composition de ceux qui siègent ce jour-là, on a affaire à des personnalités de deuxième ou troisième rang. C’est une réunion de technocrates, pas de décisionnaires. Celui qui prend les décisions, c’est Adolf Hitler, avec son premier cercle dont fait partie Himmler ». Le 20 janvier 1942, la décision d’exterminer les juifs a en effet déjà été actée. Elle aurait été prise par le chancelier allemand en décembre 1941 à la suite de l’attaque japonaise de Pearl Harbor. « Cela fait l’objet de discussions entre historiens, mais pour Hitler, cette attaque serait une preuve du complot juif et d’une guerre mondiale menée par les juifs contre l’Allemagne. Il est alors temps pour lui de les exterminer », explique Tal Bruttmann, co-auteur du récent ouvrage « La Shoah, au cœur de l’anéantissement » (éditions Tallandier).

Dans son journal, le chef de la propagande nazie, Joseph Goebbels, y fait d’ailleurs référence, le 12 décembre 1941. « En ce qui concerne la question juive, le Führer a décidé de faire table rase. Il a prophétisé aux juifs leur anéantissement s’ils provoquaient une nouvelle guerre mondiale. Ce n’était pas un vain mot. La guerre mondiale est là, l’anéantissement des juifs en est la conséquence nécessaire ». Pour autant, lorsque la conférence de Wannsee a lieu, un million de juifs ont déjà été assassinés. Des ghettos ont déjà été créés, des déportations ont commencé dans des territoires conquis à l’Est, des tueries massives ont été perpétrées après l’invasion de l’Union soviétique par l’armée allemande et un premier centre de mise à mort a été créé à Chelmno dès décembre 1941, où des juifs sont tués dans des camions à gaz. « On a une explosion des violences meurtrières contre les juifs à partir de l’été 1941 dans toute l’Europe. Mais ce sont des politiques d’assassinat locales. On n’est pas encore dans la Solution finale entendue dans le sens de janvier 1942, c’est-à-dire un plan coordonné à l’échelle de l’Europe, et même au-delà, pour assassiner l’ensemble des juifs », décrit l’historien. Pour ce spécialiste de la Shoah, la conférence de Wannsee marque donc le passage d’une dimension régionale ou nationale à l’échelle continentale.

De la conférence de Wannsee, un seul exemplaire du protocole a été retrouvé en 1947 sur les trente existants. Ce document, rédigé par le lieutenant-colonel SS Adolf Eichmann, fixe alors un objectif : l’éradication de onze millions de juifs. « Il s’agit avant tout de ratisser l’Europe d’Ouest en Est et d’organiser la déportation des juifs. C’est vraiment une réunion technique dans le sens où l’on va impliquer tout l’appareil d’État pour coordonner l’assassinat de masse en prenant en compte tout un ensemble de paramètres », décrit Tal Bruttmann. « Vous ne pouvez pas tuer les juifs de France comme ceux de Pologne, où ils peuvent l’être sur place. En France, il y a Vichy et les Français. Il faut passer par la voie diplomatique et mettre en place tout un programme de déportation ». Une feuille de route est ainsi établie pays par pays. L’objectif dépasse même le cadre européen. Dans le protocole, les juifs d’Afrique du Nord et du Levant sont comptabilisés parmi les juifs de France.

Heydrich devient l’architecte de la Solution finale

Au-delà de ce passage à une stratégie centralisée, cette réunion marque aussi la prise de contrôle de Reinhard Heydrich. Celui qui est aussi à la tête du protectorat de Bohême-Moravie devient alors le maître d’œuvre de la Solution finale en faisant du RSHA, qu’il dirige, l’instrument au cœur de sa réalisation. « Wannsee lui permet de se positionner au-dessus des autres services. Il devient l’une des figures centrales du IIIe Reich et la figure la plus visible de la violence nazie incarnée sur le terrain. C’est vraiment lui l’architecte ».

Mais le général SS ne survit pas longtemps à cette réunion. Reinhard Heydrich meurt, quelques mois plus tard, le 4 juin 1942, à la suite d’une attaque organisée par des résistants tchèques. En hommage, les SS décidèrent de donner son nom au plan allemand d’extermination des deux millions de juifs qui résidaient dans le Gouvernement général de Pologne (districts de Varsovie, Cracovie, Lublin, Radom et Lvov, dans l’actuelle Ukraine), l’opération Reinhard.

Après sa mort, c’est son supérieur Heinrich Himmler qui suit de près la réalisation de la Solution finale. Dès l’été 1942, la déportation depuis la Belgique, les Pays-Bas et la France commence. Ce sera ensuite au tour des juifs d’Italie et de Grèce en 1943, avant ceux de Hongrie en 1944. Des onze millions de juifs visés par la Solution finale lors de la conférence de Wannsee, environ six millions ont été assassinés à travers l’Europe au cours de la Shoah.

France24

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