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LA GUERRE DE CENT ANS par Stéphane Wahnich et Dov Zérah

Depuis dix jours le Proche Orient connait un nouveau regain de violence avec une multiplication des fronts : guerre entre Israël et le Hamas, violentes manifestations dans les villes israéliennes mixtes, heurts dans les territoires de Cisjordanie, soubresauts à la frontière israélo-libanaise…

Le feu a été mis aux poudres avec l’annulation des élections palestiniennes par Mahmoud ABBAS qui craignait de les perdre. Cela a entrainé des manifestations sur le Mont du Temple, au moment où les Israéliens fêtaient le 54ème anniversaire de la réunification de Jérusalem. Les extrémistes des deux bords se sont alors réveillés pour alimenter la violence.

Le véritable sens des événements récents est la volonté du Hamas de prendre le dessus sur l’autorité palestinienne, d’obtenir les faveurs des habitants de Cisjordanie et de marginaliser le Fatah. Pour ce faire, il cherche à démontrer qu’il est le seul vrai opposant à Israël et le véritable protecteur des Palestiniens.

Dans le même temps, le Hamas a torpillé la constitution du « gouvernement de changement » censé tourner la page de Benjamin NETANYAOU avec une coalition réunissant six partis allant de la droite à la gauche extrême en passant par le centre, avec le soutien du parti islamique arabe Raam de Mansour ABBAS. Le Hamas préfère une confrontation avec la droite qui apporte une meilleure légitimité à son attitude belliqueuse.

De plus, cela empêche l’intégration des Arabes israéliens au sein d’une coalition prouvant qu’ils appartiennent à part entière à la vie politique israélienne. Dans la même logique, les islamistes, fanatisés par des imams proches du Hamas, comme à Lod ou à Jérusalem, ont provoqué des troubles dans les villes mixtes avec des synagogues brulées ou saccagées, éveillant des suspicions sur la loyauté des Arabes israéliens et alimentant le risque d’une « cinquième colonne ». Ces agitateurs extrémistes reposent aussi sur le fait que si les arabes israéliens sont socialement intégrés à la société, ce n’est pas le cas en ce qui concerne le contrat politique. Une large majorité d’entre eux ne reconnaît pas la légitimité à Israël d’être un État juif, d’où les faibles protestations des responsables arabes israéliens face à ses évènements.

Même si indiscutablement, le Hamas a marqué dans un premier temps des points militaires face à Israël notamment en bombardant Tel-Aviv et sa région à plusieurs reprises, il ne semble pas avoir réussi à atteindre son objectif politique face à Mahmoud ABBAS. En effet, les troubles dans les villes mixtes ont tendance à diminuer, les Palestiniens ne semblent pas vouloir prendre le relai en Cisjordanie et le Hamas s’affaiblit de jour en jour militairement à Gaza. Pour preuve, pour masquer ses pertes humaines et contrairement à son habitude, le Hamas ne met pas cette fois-ci en scène ses morts lors de funérailles médiatisées et transformées en manifestations politiques. C’est un indicateur de sa perte de puissance. Le Hamas ne veut pas l’afficher pour ne pas perdre son image auprès des Palestiniens vivant sous l’autorité palestinienne.

Le Hamas a dépassé les lignes rouges et le bombardement de Tel Aviv, d’une ampleur inédite, a entrainé une réaction violente de l’État juif qui n’hésite plus à viser les infrastructures militaires, les responsables du Hamas et du Djihad islamique et leurs habitations. Cette réaction n’a pas été prévue par le Hamas qui s’est laisser entrainer par ses propres mythes sans préparer la sortie du conflit.

La guerre entre le Hamas et Israël est asymétrique. D’un côté, un groupe terroriste tire des missiles aveugles, près de 3 500 à ce jour, sur des civils. De l’autre, une armée effectue des bombardements, près de 1 000 à ce jour, ciblés sur des objectifs retranchés derrière des civils. Grâce à un exceptionnel système antimissiles de défense, « le dôme de fer », Israël ne dénombre qu’une dizaine de victimes dont un militaire; de l’autre côté les pertes restent modestes par rapports aux confrontations antérieures. A l’heure où est écrit cet article, deux cents gazaouis seraient morts, en majorité des combattants du Hamas. Israël sait que s’il veut conserver le soutien des capitales occidentales, il ne doit pas causer trop de décès.

Ainsi, malgré certaines manifestations de par le Monde et une éruption sur les réseaux sociaux commandée par les partisans palestiniens, Israël est soutenu dans sa démarche d’affaiblir militairement et politiquement le Hamas :

  • Contrairement à ce que certains prédisaient, « les Accords d’Abraham » ont tenu. Le Maroc a fait des gestes vis à vis des Palestiniens, notamment par la livraison de matériel sanitaire, mais n’est pas allé jusqu’à remettre en cause ses relations diplomatiques avec Israël. Les Émirats arabes unis (EAU) sont allés plus loin en remettant en cause leur participation à certains projets de développement dans la bande de Gaza face à l’attitude guerrière du Hamas. De son côté, le Soudan n’a pas hésité à affirmer que les événements ne remettraient pas en cause leurs relations avec Jérusalem.

À l’exception notable de la Tunisie, les pays arabes sunnites ne semblent plus vouloir épouser la cause palestinienne soit à cause de l’immobilisme du leadership palestinien, soit pour ne pas soutenir les frères musulmans de Gaza.

De même, il n’est pas possible de ne pas relever que même le Hezbollah ne vient pas en aide à ses frères palestiniens, malgré toutes ses capacités militaires.

Les soutiens financiers et humains des Palestiniens viennent d’Iran ou de Turquie qui cherchent à asseoir leur influence proche orientale en écornant la seule puissance qui leur oppose une résistance, Israël.

  • De leur côté, les chancelleries européennes, sans aller jusqu’au soutien explicite de l’Allemagne, reconnaissent le droit d’Israël de se défendre car l’enjeu est la survie de l’autorité palestinienne sans sous-estimer la crainte de se trouver confrontées à des soulèvements insurrectionnels des banlieues.

Le seul résultat certain est que ces événements nous éloignent de la paix.

Le principe de base des Accords d’Oslo, « la paix contre la terre », a complétement failli pour les Israéliens. Ils considèrent que ces Accords signés en 1993 ont donné la seconde intifada de 2000-2004. Par ailleurs, le désengagement unilatéral de Gaza en 2005 a entrainé des vagues de milliers de bombardements du pays qui n’a été préservé de catastrophes humaines que grâce au « dôme de fer ».

Pour les Israéliens, la conclusion est claire : que le retrait de territoires soit négocié ou non, il n’a entrainé que la guerre. Aussi, ils sont de moins en moins nombreux les partisans d’un État palestinien et d’un effort territorial. Au-delà de la crainte suscitée par le Hezbollah et ses 100 000 missiles, personne n’envisage vivre des bombardements venant de Cisjordanie et menaçant tout le centre d’Israël car il ne faut pas oublier qu’il n’y a que 8 kilomètres qui séparent Tel-Aviv de la frontière cisjordanienne.

Ce nouvel épisode de cette « guerre de cent ans » va durer encore quelques jours. Les frappes israéliennes vont permettre à Jérusalem de gagner 3, 5 ou 7 ans avant le prochain round et ainsi de suite… Le Proche Orient continuera d’être tributaire de l’irrédentisme palestinien qui refuse tout État juif et de la majorité des Israéliens qui doute que la paix puisse provenir d’un simple partage territorial.

Stéphane WAHNICH
Dov ZERAH

La Guerre de cent ans (Suite et fin)
Par Stéphane Wahnich et Dov Zérah

Le nouveau round d’affrontements entre Israël et Gaza s’est achevé au bout de onze jours cette fois-ci, alors que le précédent, en 2014, avait duré 50 jours.

Même s’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives tant la désinformation a été importante de la part du Hamas et que peu d’informations structurantes ont été émises de la part d’Israël, il est néanmoins possible de repérer certains éléments factuels.

Indiscutablement, le Hamas a obtenu, en partie ce qu’il recherchait :

  • Il a renforcé son image de défenseur des Palestiniens.
  • Il a affirmé sa montée en puissance en bombardant Tel-Aviv sans difficultés.
  • Il a démontré son pouvoir à travers un réseau de mosquées proches des frères musulmans et en favorisant une nouvelle forme de révolte arabe au sein même de la société israélienne.
  • Enfin, il a remis sur le devant de la scène médiatique la cause palestinienne.

« L’image de la victoire » avec les défilés de ses partisans en Cisjordanie, à Jérusalem ont salué ces performances. Cette impression s’est accentuée avec le sentiment que les responsables internationaux, Joe BIDEN au premier chef, ont contraint Israël à un cessez le feu non désiré par ce dernier.

Comme d’habitude, malgré la lourdeur des procédures onusiennes, l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité se sont rapidement réunis pour permettre à la majorité islamo-arabe de condamner l’État juif. Le Secrétaire général a également enfoncé le clou en déclarant « s’il y a un enfer sur terre, c’est la vie des enfants à Gaza », passant sous silence la situation des enfants d’Ashdod, Ashkelon, Beer Scheva, Nétivot, Sdérot, et autres localités israéliennes bombardées à l’aveugle par le Hamas.

De plus, pour Israël, cette confrontation est aussi pour une part un succès :

  • Les récents « Accords d’Abraham » ont tenu malgré le bombardement israélien sur Gaza.
  • Plusieurs pays européens dont l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, la Slovaquie ont marqué leur solidarité envers Israël face aux bombardements aveugles de civils israéliens par le Hamas. Cela constitue indiscutablement un notable changement pour Israël.
  • Israël a pu défaire un grand nombre de structures militaires du Hamas avec peu de morts du côté palestinien.

Parallèlement, Israël a envoyé un message au Hezbollah avec le pont aérien bombardant le « métro » de Gaza ; la capacité de coordination de l’armée de l’air israélienne avec la présence simultanée de 130 avions dans le ciel de Gaza, a fait entrevoir ce que pourrait être la réponse de l’Etat juif en cas d’attaque chiite provenant du Liban.

Mais pour les protagonistes, ces victoires, seulement revendiquées par le Hamas, sont des « victoires à la Pyrrhus ».

Quelles que soient les prouesses de son armée, Israël n’a pas changé structurellement la situation sécuritaire au lendemain du cessez le feu, pour au moins deux raisons :

  • Même affaibli, le Hamas est toujours présent et se reconstruira avec le temps, ce qui prélude à un nouveau round.
  • Pour la première fois depuis les émeutes de 1929, les Juifs ont été confrontés à des attaques arabes dans les villes mixtes ce qui va poser un problème structurel à Israël. C’est en effet la remise en cause d’une certaine « cohabitation pacifique » qui reposait jusque-là sur la seule acceptation par les Arabes israéliens du contrat social ; en revanche, rares étaient les personnes prétendant qu’ils adhéraient au projet politique sioniste.

Au-delà du contexte intérieur, le plus préoccupant pour Israël est la position de l’Administration BIDEN. La page des années TRUMP a bien été tournée. Au-delà des pressions exercées pour obliger Israël à cesser le feu, la volonté de conclure un accord avec les Iraniens en faisant fi des craintes des voisins arabiques et des Israéliens, les responsables américains ont rétabli toutes les aides financières pour les Palestiniens et envisagent de rouvrir un consulat pour les Palestiniens à Jérusalem.

Tout aussi inquiétant, en même temps qu’il annonçait le cessez le feu, Joe Biden assurait Israël de lui fournir tout le nécessaire pour le fonctionnement du système « Dôme de fer ». Telle la corde qui soutient le pendu, une assurance sous forme de rappel de dépendance.

Enfin, Joe BIDEN a annoncé les financements pour la reconstruction de Gaza, en prenant soin d’affirmer qu’il veillera à ce que l’argent ne soit pas détourné au profit du Hamas. Il s’agit d’une intention louable, sous réserve de communiquer le modus operandi.

Pour le Hamas, son aventure militaire à des fins politiques a provoqué un réel retour en arrière pour le parti islamiste :

  • Malgré la sympathie acquise parmi les Arabes israéliens et les Palestiniens de Cisjordanie, le Hamas n’a pas renversé l’Autorité palestinienne.
  • Des pertes humaines difficiles à évaluer car, contrairement à 2014, le Hamas n’a pas dressé le tableau quotidien des morts…
  • Des destructions matérielles remettant en cause des années de travail
  • Une incapacité à frapper réellement Israël, avec 12 morts pour plus de 4 000 missiles lancés
  • Enfin, les seuls soutiens de taille du Hamas ont été l’Iran et la Turquie, les deux pays où les gouvernements portent les valeurs de l’islam politique radical. Mais, il s’agit d’un soutien prudent. Le Hezbollah n’a pas bougé pendant onze jours et a même condamné des tirs de roquettes orchestrés par des milices palestiniennes en provenance du Liban. En revanche, dès la survenance du cessez le feu, il n’a pas hésité à saluer la victoire du Hamas et, hier, son président, dans un discours de 90 mn, a continué à menacer Israël.

Pour conclure, deux réflexions :

Au vu de ce qui s’est passé, la question de la disparition du Hamas se pose car son influence devient trop dangereuse aussi bien pour la société israélienne que pour l’Autorité palestinienne et les Palestiniens. Pour l’instant, il n’existe pas d’alternative tant que Mahmoud Abbas ne peut pas donner de perspectives positives à son peuple, mais il n’est pas interdit de penser que le futur renouvellement de génération au sein du Fatah sera l’occasion de bousculer, voire renverser le Hamas. Israël pourra alors donner les clefs du territoire à la nouvelle direction de l’Autorité palestinienne.

Enfin, il convient de réfléchir au rôle stratégique des anti-missiles du « Dôme de fer ». À la fois il protège efficacement la population israélienne mais il permet également au Hamas de bombarder massivement Israël en connaissant le manque d’efficacité de ces bombardements. Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, « Dôme de fer » sape en partie la dissuasion israélienne, c’est pour cela que le statut quo avant l’attaque du Hamas ne pourra pas durer, et qu’un nouveau round est malheureusement prévisible.

Stéphane WAHNICH
Et Dov Zérah

Stephane WAHNICH
Ancien Professeur associé des Universités
Université Paris Est Créteil (UPEC)
Chercheur à Université de Tel-Aviv, au sein du Laboratoire ADARR, 
Co-auteur de « Le Pen-Les mots » (1997) et de « Marine Le Pen prix aux mots » 2015.

Dov Zerah est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, possède une maîtrise de Sciences économiques de l’université de Panthéon-Sorbonne, est ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA, Promotion Voltaire  (1980) et auditeur de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale. De 1993 à 1999, il occupe des postes de direction de cabinets, des ministres de la Coopération, puis de l’Environnement, puis du Commissaire européen chargée de la recherche, de l’innovation, de l’éducation, de la formation et de la jeunesse. Directeur général de l’Agence française de développement (AFD) du 2 juin 2010 au 29 mai 2013. Il était également président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé ; censeur d’OSEO. Il a occupé de nombreux postes dans la très haute fonction publique, notamment à la Direction du Trésor, où il a eu personnellement en charge des négociations internationales particulièrement complexes et délicates. Il a également été directeur de cabinet tant en France qu’à Bruxelles. Il a par ailleurs enseigné à Sciences-Po et HEC.

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