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Si Nahel s'était appelé Jean-Pierre, aujourd'hui il serait encore en vie

Si Nahel s'était appelé Jean-Pierre, aujourd'hui il serait encore en vie

Laurent Sagalovitsch

Sous-jacent au drame de Nanterre, il existe une dimension raciste qui doit interpeller chacun de nous.

Il est difficile de ne pas voir dans le drame de Nanterre, cette sorte d'exécution à bout portant prélude à un déferlement de violences urbaines, comme une incarnation des maux qui touchent la France. Un pays déchiré de l'intérieur où chacun regarde l'autre en chien de faïence sans jamais prendre la peine ou le temps de comprendre les motivations de son interlocuteur.

Comment est-il possible que dans un pays aussi civilisé que la France, tout commence et finisse dans la violence? De quelle malédiction la France est-elle frappée pour que régulièrement, elle s'invite à la une de l'actualité par la diffusion d'images qui évoquent plus un pays en guerre qu'une contrée éclairée, naguère porteuse d'un message d'espoir pour l'humanité tout entière?

Avant-hier, c'était les «gilets jaunes», hier, la réforme des retraites, aujourd'hui, ce drame inqualifiable... Autant d'événements dont le point commun est une sorte d'exaltation de la violence, un goût pour l'affrontement, une ivresse de la confrontation où au lieu de se réunir autour d'une table afin d'aplanir ses différends, on préfère se balancer des parpaings à la figure.

La brutalité de la mort de Nahel, la haine qui la sous-tend, ce racisme à peine voilé, ce revolver qu'on pointe comme si on faisait face à un criminel endurci, ce «On va te mettre une balle dans la tête» lancé apparemment par le collègue du policier à l'origine du coup de feu, tout dans cette scène scande un dysfonctionnement de l'institution policière, une incapacité à écarter de ses rangs des individus chez qui le respect de l'autre, quelles que soient ses origines, fait défaut.

Nahel se serait appelé Jean-Pierre qu'aujourd'hui, il serait à n'en pas douter en vie quand bien même Jean-Pierre aurait fait montre de la même légèreté ou stupidité que Nahel en refusant d'obtempérer. Nahel est mort tout à la fois d'être un délinquant, ou tout au moins de pas avoir répondu comme il aurait dû aux injonctions de la police, mais aussi de porter sur son visage les traces de ses origines ethniques. Il est mort d'être différent.

Ce qu'il faut comprendre, et je l'ai compris en collaborant à l'écriture de l'autobiographie de Saïd Taghmaoui, l'un des trois acteurs de La Haine, c'est combien, quand on naît arabe ou noir dans l'une de nos banlieues françaises, les chances de s'en sortir par le haut sont quasiment nulles. Il existe pour toute une jeunesse comme une fatalité du malheur, la certitude que quelles que soient leurs compétences, leurs talents, leurs différentes aptitudes, à la fin des fins, dans le meilleur des cas, ils finiront comme coursier ou livreur, de ces boulots payés une misère et qui sont comme la perpétuation des métiers d'ouvrier ou de maçon de leur père.

Ce n'est pas que la société française soit plus raciste qu'une autre, c'est juste que par toute une successions de mesures iniques ou absurdes, d'enfermement des populations immigrées dans des cités devenues à la longue des taudis, elle a rendu impossible toute sortie par le haut si n'est par le sport pour les plus chanceux. Pour les autres, ne restent que l'apprentissage de la délinquance, les trafics en tout genre, les contrôles d'identité à répétition, une vie de voyou souvent passée entre la mosquée et la prison, loin, très loin de la routine des Français ordinaires.

Des Nahel, il en existe des milliers à travers la France. Sortis très tôt de l'institution scolaire, élevés par leur seule mère au sein d'une famille nombreuse, livrés la plupart du temps à eux-mêmes, sans vrais repères, sans points d'attaches, sans avenir, sans horizon, ils naviguent comme ils peuvent, toujours à la frontière de la légalité quand ils ne basculent pas très jeunes dans ce qui leur apparaît comme la seule issue, l'unique réponse à tous leurs problèmes: le vol, le trafic de drogues, la délinquance.

C'est de tout cela dont Nahel est mort. Et dont d'autres mourront encore. Dans une France déchirée de l'intérieur, consciente d'avoir raté le virage de l'intégration mais incapable de réparer cette erreur originelle, la violence surgit à chaque coin de rue. Elle exacerbe les particularismes identitaires, elle exalte l'ivresse du sang pur, elle transforme un simple policier en un hors-la loi, un homme capable d'abattre de sang-froid un jeune homme dont la seule faute aura été de refuser d'obtempérer.

Et de s'appeler Nahel.

Pas Jean-Pierre.

Nahel.

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