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Racisme ordinaire un soir de 14-Juillet

Racisme ordinaire un soir de 14-Juillet

 

 

par Annie-Paule Derczansky, Présidente des Bâtisseuses de Paix

 

Des enfants, des ados, quelques étudiants et trois mamans ont eu la chance d'être invités au feu d'artifice du 14-Juillet, place du Trocadéro à Paris, en compagnie de 1500 personnes (chiffre donné par un agent du protocole), sur l'esplanade des Droits de l'Homme, aux côtés du maire et de ses amis.

Ce petit groupe de 15 personnes n'était pas là par hasard. Représentant de la diversité culturelle, cette invitation était leur "récompense" pour avoir participé à des actions éducatives, autour de la citoyenneté et de la définition de l'étranger, de la royauté à la Révolution française. Ces activités sont réalisées par les Bâtisseuses de Paix, association qui réunit des femmes juives, arabes et musulmanes.

Parmi ces chanceux, il y avait toute une fratrie. J'avais également convié la maman, car les invitations sont passées par moi. Pour pouvoir venir, son mari travaillant de nuit, elle me demanda d'accepter la présence de Fatou, la petite dernière, de 3 ans. Ce que je fis, bien sûr.

Les invités s'installèrent sur l'esplanade des Droits de l'Homme, où nous repérâmes un muret, endroit idéal qui surplombe l'espace d'où sera tiré le feu d'artifice. Il n'y a déjà plus de place. Miracle, un grand monsieur se lève et s'éloigne. J'installe alors la petite Fatou sur le muret. Une femme, scandalisée, m'interpelle:

- Madame, cette place n'est pas disponible. Il y a un monsieur qui y était assis.

Le ton est agressif et comminatoire. Je suis bouche bée. À un feu d'artifice, les gens vont et viennent, il n'y a pas de places fixes. D'autant que ce monsieur est grand. Salah, une des mamans, a le sens de la répartie. Elle répond :

- On n'est pas au théâtre, il n'y a pas de places réservées.

Outrée qu'on ait pu lui répondre, la dame blonde se répand en injures:

- Ce sont toujours les mêmes !

Une phrase qui ne fait que réveiller mon épiderme de juive ashkénaze écorchée.

- Taisez-vous tout de suite !, crie-je.

Mais la dame en tailleur, pantalon blanc, cheveux aux épaules, n'a pas l'intention d'en rester là:

- Personne ne me fait taire. Vous ne savez pas qui je suis. Je suis présidente d'une association d'une telle importance, vous ne savez pas à qui vous vous adressez. Je sais ce que je dis ce sont tous les mêmes et vous taisez vous, vous vous êtes grosse !

À ce moment devant moi, à quelques mètres de la rambarde, il me semble reconnaître Dominique Sopo, le président de SOS racisme. Je me tourne vers elle et lui dis:

- Très bien, je vais chercher Dominique Sopo!

Elle ricane, sa copine blonde aux cheveux plus courts, aussi. Mais je sens leurs ardeurs refroidies. Le temps que je me fraie un chemin parmi la foule, Sopo a disparu. En mon absence, elle s'est déchaînée :

- On n'est plus chez nous, on est envahi, ces gens-là n'ont rien à faire ici!

Elle place même ses mains sur le muret pour empêcher les enfants de s'asseoir. De longs soupirs réprobateurs accompagnent chaque déplacement des enfants ou des ados. Elle leur rappelle qu'ils n'ont pas le droit de s'asseoir.

Puis le feu d'artifice commence. La dame qui doit avoir la soixantaine, s'installe debout devant moi. Elle est avec deux plus jeunes. A elles trois, elles semblent tout droit sorties du moule BCBG. Pendant tout le spectacle, elle ne s'arrêteront pas de commenter notre présence:

- Ces gens-là, il ne faut rien leur passer, sinon on n'en vient pas à bout. Ce sont des gens de la rue, on ne peut rien pour eux."

À la fin du feu d'artifice, je tente de calmer le jeu et la questionne calmement:

- Peut-on se parler tranquillement ? Dites-moi, quelle association présidez vous?

La réponse est cinglante:

- Nous ne sommes pas du même monde vous et moi. Je suis là parce que je suis une amie de Hollande. J'ai été invitée pour ça! On n'a rien à voir ensemble vous et moi!

Dur, dur, surtout que je pense à toutes les initiatives que mon association a mises en place autour du 14-Juillet pour expliquer que grâce à la Révolution française musulmans et juifs ont droit de cité en France. Citoyenneté et égalité octroyée par la révolution, c'est l'intégration républicaine qui permet à chacun de vivre ensemble.
Samedi soir, je n'étais pas très bien. D'autant plus lorsque je me remémorai cette phrase d'Emmanuel Levinas, prononcée avant de quitter sa ville natale:

"Mon fils, un pays qui a fait la déclaration des Droits de l'Homme, il faut se hâter d'y aller."

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