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Poème provisoire de mon temps, par Yehuda Amichaï

Poème provisoire de mon temps

 

 

 

L’hébreu et l'arabe s’écrivent d'est en ouest,

l’écriture latine d'ouest en est.

les langues sont comme les chats,

qu'il ne faut pas prendre à rebrousse-poil.

Les nuages viennent de la mer; le khamsin du désert,

les arbres se courbent sous le vent,

et les pierres volent à tous vents

et à tous diables. On jette des pierres,

on jette le pays, les premiers sur le second,

mais la terre toujours retombe à terre,

on jette le pays, on veut se débarrasser,

de ses pierres, de sa terre, mais on ne peut le faire.

 

O le poème sur la tristesse des pierres 

O le poème jeté sur les pierres

O le poème sur les pierres jetées.

Reste-t-il encore dans ce pays

une pierre qui n'ai pas été jetée

ou roulée ou découverte

ou transformée en mur ou en maison

ou en chambre de mort ou d'amour

ou en clef de voûte ?

 

De grâce, ne jetez plus de pierres

vous faites bouger la terre, 

la terre sainte, mûre, ouverte,

vous la faites tomber dans la mer

et la mer ne la veut pas

parce qu'elle n'est plus la terre.

Mais jetez des petites pierres

des fossiles ou du gravier.

Jetez des pierres molles, des pierres douces, 

jetez la craie, jetez

le sable de la mer

jetez la marne du désert,

jetez du papier, jetez la poussière, le vent, 

la vanité, le néant

jusqu'à la fatigue des mains

jusqu'à la fatigue des guerres

et même de la paix

quand elle sera là.

 

Yehuda Amichaï, Poème provisoire.

 

Extraits de Poèmes de Jérusalem, éditions L'éclat 1991, traduction de Michel Eckhard Elial.

 

Envoi de Claude Sitbon

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