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L’ÉCOLE BUISSONNIÈRE Par Thérèse Zrihen-Dvir

L’ÉCOLE BUISSONNIÈRE

Par

Thérèse Zrihen-Dvir

 

 

Nous n’étions plus des enfants, ou du moins considérés comme tels, durant notre troisième année aux Cours Complémentaires, George et Maurice Leven à Marrakech… La majorité avait réellement murie, affichant une émancipation prétendument accentuée mais qui, en fait, n’était que le fruit de notre soif de l’être.

Nous faisions partie tous et toutes de la nouvelle génération de notre communauté juive, appartenant à toutes les classes, des plus aisées aux plus pauvres, des plus pratiquantes aux plus libérales, et avions en commun notre jeunesse, notre fougue et notre appétit de mordre à pleines dents à la vie tout en prouvant au monde nos prouesses qui dépasseraient sans nul doute, celles de nos « vieux ».

Un matin, devant notre classe, nous fûmes informés de l’annulation de notre cours dû à l’absence de monsieur Bensaël, notre prof en littérature française, reporté malade.

Qu’allons-nous faire ? Retourner chez nous pour plonger dans nos livres et cahiers ou bien… Le temps était au beau fixe en ce début de mois de Mars et le ciel d’un bleu immaculé, nous invitait à vadrouiller… André eut la merveilleuse idée de profiter de cette aubaine pour organiser vite fait, un petit pique-nique sur les vastes terrains verdoyants des jardins de la Ménara.

Nous extirpâmes de nos poches les quelques sous que nous avions reçus de nos parents pour l’achat du rituel casse-croûte à la récréation, et après un calcul sommaire, il devint clair que toute la somme ne couvrirait même pas les frais d’une collation des plus réduites.

Pas moyen de retourner chez nos parents pour en réclamer davantage, nous risquions d’être simplement happés par leurs nombreuses besognes et adieu pique-nique et vadrouille.

Jacqueline Afriat, considérée comme la plus nantie d’entre nous, proposa de se rendre chez son père à la bijouterie et lui demander sa contribution à nos innocentes frasques… Il faut dire en passant, que Jacqueline était l’une des plus jolies filles de notre école. Avec son nez droit, son visage rond et ses yeux marron immenses, frangés de cils épais, elle évoquait en quelque sorte une déesse de la Grèce antique. Elle était légèrement potelée, sans être grassouillette. Le teint de sa peau était clair et ses cheveux blonds tombaient en une nappe soyeuse sur ses épaules.

Certains disaient d’elle que le créateur l’avait non seulement dotée d’une beauté exceptionnelle, mais l’avait aussi bénie de parents aimants et riches. Elle était l’aînée, venue au monde après de longues années d’attente. Nous tous l’aimions tout en l’admirant… Certaines l’enviaient secrètement, sans jamais que cela ne déborde ni ne se transforme en une animosité de quelque sorte. Et de toute façon Jacqueline avait le cœur sur la main, une gentillesse qui faisait oublier les écarts existant entre les classes de notre société, et un philanthropisme étonnant à cette époque. Parmi les garçons, beaucoup briguaient son cœur, lui dépêchant des missives enflammées que j’avais eu une fois l’opportunité de lire…

On savait tous très bien qu’elle réussirait à sa sainte mission. Elle revint avec quelques billets de banque qui servirent à nous acheter des fruits, du pain, des carrés de fromage « la vache qui rit » et même quelques beignets croustillants, dégoulinant encore d’une huile de friture qui avait apparemment servie à maintes reprises…

Le petit pique-nique, si restreint qu’il l’était, avait en réalité cimenté nos relations, aboli nos préjugés et rendu possible notre compréhension et admission de l’autre. Ceux qui nous semblaient inaccessibles ou trop infatués, ne l’étaient plus brusquement. Nous avions en ces quelques heures, atteint un degré d’entente que nul d’entre nous ne pensait pouvoir y accéder un jour ou l’autre. C’était une troupe gaie, compacte et intègre qui naquit de cette rencontre impromptue.  

En chemin pour notre « chez nous », quelques filles proposèrent de rendre visite à notre prof malade… Dans l’euphorie nous n’avions pas une seule fois pensé qu’il pouvait bien ne pas l’être… Ou alors qu’il soit si mal en point qu’il ne verrait pas d’un bon œil, notre subite intrusion. Devant la porte de son appartement, Shirley, mon amie d’enfance qui m’observait depuis un moment, fit halte à la course effrénée des autres pour me demander mon avis…

« Mais voyons, il s’agit de notre professeur, monsieur Bensaël… Il se pourrait bien que notre visite lui déplaise, l’incommode, ou pire encore, l’humilie… Nous allons, à mon avis, faire mieux en lui écrivant un petit mot pour lui souhaiter un prompt rétablissement que nous déposerons dans sa boite postale… Ce serait plus intelligent et moins encombrant, pour nous… comme pour lui… D’autant plus que nous n’avons même pas un bouquet de fleurs à lui offrir…»

Elles me jetèrent un regard oblique, avant de répondre à l’unanimité qu’elles approuvaient ma suggestion…

Monsieur Bensaël était à l’époque un jeune homme âgé de vingt-cinq ans, élégant et légèrement précieux…  Toutes les filles en étaient à tous les niveaux un peu entichées, et moi de même…

Notre apparition au pas de sa porte, risquait simplement de culbuter l’auréole dont notre jeunesse, verve et intrépidité, l’avait ceint…

Après tout, dans l’immense théâtre de la vie ne sommes-nous pas tous les principaux acteurs ?

Monsieur Bensaël ne fit jamais allusion à notre pathétique message gribouillé à l’entrée de son immeuble nous laissant dans l’incapacité de savoir s’il l’a reçu et s’il l’a lu…

 

http://theresedvir.com/

http://therese-zrihen-dvir.over-blog.com/

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