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Israël frappe Damas sous le nez de Poutine

Israël frappe Damas sous le nez de Poutine (info # 010411/15)[Analyse]

Par Michaël Béhé à Beyrouth© MetulaNewsAgency

 

Vendredi et dimanche derniers, l’Armée de l’air israélienne a conduit deux raids importants entre le nord de la capitale syrienne Damas et la frontière libanaise, dans la région du Qalamoun.

 

Le Qalamoun est depuis des mois le théâtre d’affrontements extrêmement âpres entre l’insurrection sunnite et les forces pro-régime, massivement soutenues dans cette zone par les miliciens du Hezbollah.

 

Ces attaques israéliennes sont surtout les premières depuis l’installation des Russes dans la province de Lattaquié. Les premières également depuis les accords de coordination passés entre l’état-major de Poutine et celui de Tsahal, ce qui engendre de multiples questions que nous ne manquerons pas de nous poser dans quelques paragraphes.

 

La Ména, exceptionnellement, n’est pas le premier media à faire état de ces opérations, qui avaient été relayées en primeur par le site Internet pro-rébellion 7al.me, puis, par Mulak, pro-Hezbollah, et par SouriaNet (Souria = Syrie), un autre site soutenant l’insurrection, qui donnait quelques précisions sur les opérations.

 

Des media plus traditionnels, tels l’israélien Haaretz et la chaîne TV saoudienne al-Arabiya, ont repris la nouvelle, mais tous basaient leurs informations sur les sites militants.

 

Suite à des échanges avec la rédaction de Métula, nous avons convenu qu’il n’existait pas suffisamment de sources fiables, suivant en cela des critères que nous avons établis de longue date, pour être absolument certains de l’authenticité des faits.

 

Contrairement aux raids précédents, nous n’avions pas pu, dans le courant du week-end, nous entretenir avec des témoins oculaires directs et, plutôt que de diffuser de fausses dépêches sur un sujet aussi délicat, nous décidâmes de continuer à chercher des indices indisputables sur la véracité de ces attaques.

 

Notre prudence était accessoirement dictée par l’analyse de Jean Tsadik de mercredi dernier [Poutine en Syrie : un tigrof de papier], dans laquelle notre expert en stratégie annonçait que le Kh’el Avir avait pratiquement cessé de survoler le territoire libanais, probablement pour respecter le contenu de l’accord avec les Russes, dont nous ignorons évidemment le contenu.

 

L’article de Tsadik, largement respecté à Beyrouth pour ses connaissances dans le domaine de la stratégie militaire, avait d’ailleurs suscité passablement d’inquiétude parmi les sunnites et la plupart des chrétiens, qui craignaient autant que les Israéliens que notre territoire soit envahi par des armes à destination du Hezbollah, ce qui accentuerait encore leur violente mainmise sur les affaires du Liban.

 

Hormis les commentaires des petits media partisans, qui répandent souvent des infos farfelues, soit parce qu’ils se sont trompés de bonne foi, soit parce qu’ils répercutent des informations fournies par d’autres media sans avoir la capacité de les vérifier, soit pour manipuler l’opinion, soit, encore, pour faire parler d’eux, le seul indice concordant que nous possédions jusqu’à hier [mardi] était un rapport de la rédaction de Métula, qui avait observé le franchissement de la frontière libanaise par plusieurs chasseurs-bombardiers, dimanche, aux alentours de 21h 30. Or cette estimation correspondait avec les éléments proposés par les divers sites libanais et syriens. Mais cette "coïncidence" était encore trop faible pour confirmer les raids sans risque d’induire nos lecteurs en erreur.

 

Or hier soir, j’ai pu m’entretenir avec un officier du Hezbollah en toute discrétion, qui a endossé les faits à mon oreille. S’agissant de quelqu’un de fiable, que je connais depuis plus de dix ans, qui est, pour les fonctions qu’il occupe dans la milice chiite, en contact permanent avec ses camarades qui combattent en Syrie – et souvent lui-même sur le théâtre des combats -, nous avons jugé que son témoignage, ajouté aux précédents, suffisait à confirmer la réalité des raids.

 

Notre estimation a été renforcée par la profusion de détails concordants que m’a transmis mon interlocuteur, ainsi par le motif qu’il avait de s’ouvrir à un journaliste. Selon son compte-rendu, lors de l’opération israélienne de vendredi, le Hezb a perdu vingt-huit de ses combattants, dont quatre officiers et sous-officiers, qui viennent s’ajouter à une très longue liste de Hezbollani tués pour défendre le régime d’al Assad sur l’ordre des Iraniens.

 

A en croire mon locuteur, ce ne sont pas moins de 3 200 miliciens de son organisation qui sont tombés ces derniers mois dans cet exercice, et certaines unités, d’après le même témoignage, ont simplement cessé d’exister sous les coups répétés des rebelles djihadistes. Sur un total de 20 000 combattants, la proportion de morts et de blessés est très élevée, sans compter que ce sont les unités d’élite que Nasrallah a envoyées en Syrie.

 

Ce qui précède expliquant sans doute que, malgré la reconnaissance de la factualité des raids hébreux dans les media du Hezb, Nasrallah s’abstient prudemment de provoquer ses ennemis du Sud, sachant qu’il ne dispose pas des effectifs et des moyens de leur faire face au Liban-Sud. De violentes disputes secouent actuellement les Fous d’Allah quant à l’implication mortifiante de l’organisation dans la guerre civile voisine. C’est assurément intéressant et nous y reviendrons dans une prochaine analyse.    

 

Pour en revenir aux opérations israéliennes du week-end, nous pouvons désormais établir en toute certitude que, vendredi soir, le Kh’el Avir a mené plusieurs attaques visant des positions du Hezbollah et de la 21ème brigade de l’Armée alaouite dans le Qalamoun occidental, en Syrie, à la frontière entre la Syrie et le Liban.

 

Des fortifications du Hezb qui abritaient des missiles sol-sol sophistiqués ont été détruites à proximité des localités de Ras al Ayn, Ras al Maara et al Jubba. Quant aux soldats d’al Assad, ils ont été pris pour cibles dans la zone de Qutayfa, au Nord-Est de la capitale, et dans le quartier d’al Assad, à Damas même.

 

Dimanche soir, les appareils hébreux sont revenus frapper la même région, s’en prenant cette fois à la 155ème brigade des forces du régime, et, particulièrement, aux missiles balistiques Scud dont elle avait la charge.

 

Le quartier général de la brigade est situé à 7 km de Qutayfa et est associé au commandement général chargé des activités de missiles, d’artillerie et de roquettes. La base de Qutayfa abritait trois brigades de tir ainsi qu’une autre d’ingénierie.

 

Deux bataillons supplémentaires, dont le 578ème, avaient établi des positions de tir à même la falaise du Rif de Damas, autour de la localité d’al Nasiryia.

 

A en croire l’ensemble des sources pro-rebelles, c’est de ces pas de tir creusés dans la roche que les militaires du régime tiraient des Scuds sur les zones du pays tenues par l’insurrection.

 

En nous basant sur des informations concordantes, il nous est possible d’affirmer que la quasi-totalité des objectifs visés par les F-16 à l’étoile de David, des maisons banalisées contenant les missiles sol-sol, vendredi, des silos et d’autres installations, dimanche, ont été pratiquement anéantis lors des attaques. En surface, il n’en reste strictement rien.

 

Voilà pour les faits ; il nous faut évidemment nous pencher maintenant sur l’attitude des Russes, qui n’ont pas bronché en assistant aux attaques subies par leurs alliés aux abords immédiats de leur capitale.

 

C’est à n’y rien comprendre, d’autant plus que les Scuds détruits étaient utilisés pour combattre l’adversaire que les Soukhoï de l’Armée de l’air russe pilonnent journellement. La première question qui s’impose est donc : Poutine avait-il été mis au courant par Jérusalem des objectifs de cette opération ?

 

Si nous ne sommes pas en mesure d’y répondre, nous dirons cependant que, si les Russes n’ont pas été prévenus, à quoi servent les accords passés entre Moscou et Jérusalem ? On peut aussi s’interroger pour savoir s’ils existent encore ; autrement dit, si l’état-major israélien n’a pas considéré que les Iraniens et les Syriens avaient profité de la présence russe pour transférer au Hezbollah des missiles sophistiqués et pour déployer des engins balistiques aux confins de Damas, et que ces "dispositions" mettaient suffisamment en danger l’Etat hébreu pour qu’il décide d’intervenir sans se soucier du blanc-seing du tzarévitch.

 

Dans cette hypothèse, Netanyahu a mis Poutine devant un choix impossible : avec des F-15 en altitude afin de protéger les F-16 durant leurs missions de bombardement, l’état-major russe aurait été très mal inspiré en tentant d’intervenir. Autant dire qu’il aurait perdu en un seul affrontement la plupart, si ce n’est la totalité de ses six Mig-31 et de ses quatre Soukhoï-30, censés lui assurer la suprématie aérienne. A noter que les six Mig sont basés à Damas, c’est-à-dire dans le périmètre des objectifs ciblés par les pilotes israéliens.

 

S’il n’était pas consentant, c’est une situation qui a dû être difficile à supporter pour l’orgueil de Vladimir Poutine. De toute façon, consentant ou non, il a bien fait de ne pas envoyer ses pilotes au casse-pipe, Jean Tsadik tranchant sans la moindre hésitation que les dix appareils du Kremlin n’avaient aucune chance de survivre une confrontation avec les F-15 soutenus pas une électronique systémique supérieure côté israélien.

 

L’autre supposition est que le président russe aurait consenti à ces attaques ; et l’unique sous-hypothèse que nous entrevoyons, avec l’aide des spécialistes de la rédaction, consiste à imaginer que Bachar et les Iraniens ont désobéi à ses injonctions de ne pas profiter du parapluie avancé par le corps expéditionnaire russe pour déployer des armes sophistiquées inacceptables pour Jérusalem.

 

Car cet aspect des choses a sans l’ombre d’un doute sensé été soulevé par les militaires israéliens lors des discussions à Jérusalem et Moscou. Si ce scénario est le bon, celui d’une intervention acceptée par Poutine, ce dernier pourrait avoir profité du coup de massue administré par les Hébreux pour signifier à ses alliés chiites et alaouites à quel point ils sont dépendants de son bon vouloir pour fixer la destinée de la Syrie. Il serait, de plus, de bon augure de "recadrer" ses "protégés", pour leur indiquer qu’ils vont devoir faire des concessions douloureuses dans le cas où le processus de cessation de la Guerre Civile progresserait.

 

Peut-être que les concessions que Poutine leur demandera iront jusqu’à l’abandon du pouvoir et au repli dans l’Alaouitland autour de Lattaquié. Quoi qu’il en soit, les opérations de ce week-end ne peuvent que "rapprocher" les Iraniens, les alaouites et les chiites libanais de Moscou.

 

Et si Russes et Israéliens ne sont pas en train de se déchirer au téléphone, ils pourraient aussi commencer à s’apprécier mutuellement, étant posé qu’un axe, non d’alliance mais de compréhension, entre Moscou et Jérusalem, deviendrait incontournable pour Barack Obama et Federica Mogherini dans le cadre de toute négociation régionale.

 

Mais qu’en disent les ayatollahs ? Après tout, ni l’Amérique et ses coalisés européens, ni l’aviation russe n’ont jamais effectué de frappes dans la région de Damas, ce qui participe d’une routine pour l’Armée de l’air de Jérusalem. Al-Arabiya (l’Arabe), l’agence semi-officielle perse Mehr (la presse) et le media arabophone de Téhéran al Alam (le monde), relatent des propos de défiance prononcés peu avant les raids par le Général Jaafari, le chef des Pasdaran, les Gardiens de la Révolutions, qui combattent en Syrie. Jaafari a affirmé que "Moscou se moque du sort réservé à Bachar el-Assad, contrairement à l'Iran qui ne voit aucune alternative au président syrien (…)", et que "la Russie cherchait à défendre ses propres intérêts particuliers en Syrie".

 

Ces événements pèsent bien sûr sur la micro-cuisine libanaise et les séances interminables de parlotte se suivent – comme celle qui a duré presque toute la journée d’hier au parlement - pour débloquer un dialogue politique figé depuis des mois voire des années. Le poste de président est vacant depuis mai 2014 et les ordures ménagères recouvrent toutes les rues du pays.

 

Chaque camp scrute l’évolution de la situation en présupposant que les victoires en Syrie de l’axe alaouites-chiites-Russes favorisent le Hezbollah, tandis que celles des sunnites et les revers concédés par l’axe face aux Israéliens, fortifient les intérêts des alliés sunnites et chrétiens (Bloc du 14 mars). En fait, survolés à leur gré par les Soukhoï et les F-15 bleus et blancs, il faudra attendre encore que la situation se décante à l’Est pour commencer à faire des prévisions quant à l’avenir de ce qui reste de notre pays.

 

Ce que je peux dire, ce mercredi matin, est que la démonstration de force des Israéliens a redonné le moral au Courant du 14 mars regroupant les sunnites modérés et la majorité des chrétiens, qui se voyaient encore plus isolés que d’habitude depuis l’arrivée des Russes à deux pas de chez nous. En fait, cela ne nous a jamais aussi peu dérangé que les avions israéliens s’invitent dans notre ciel. Pourvu qu’ils reviennent !

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