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Enseigner dans une école juive hassidique au Canada

 

Enseigner dans une école juive hassidique au Canada

 

Sarah-Émilie Nault

 
Plusieurs de mes amis ont bien du mal à croire que j'ai un jour enseigné dans une école pour jeunes filles juives hassidiques.

 

 

 
La jupe longue, les chandails couvrant les coudes et le cou et les collants sont obligatoires lorsque l'on enseigne dans une école juive hassidique. 

 

 
Pourtant, j'ai bel et bien enfilé jupes longues, collants et chemises couvrant mes «indécents» coudes pendant deux années scolaires, alors que je me transformais en une Madame Nault intrigante, dans cette école primaire orthodoxe du quartier Outremont.

 

S'ouvrir sur le monde

J'ai d'abord envie de mentionner les bons côtés de cette expérience extraordinaire, car il y en a eu plusieurs le long de cette toute sauf banale aventure.

Ce qui me frappa le plus lors de mon immersion dans ce «monde» tout droit sorti d'une autre époque fut, étrangement, cette «tolérance», du seul fait de me retrouver là, au cœur d'une communauté tissée aussi serré. Bien sûr, nous étions au Québec et les filles se devaient de recevoir une portion de leur éducation en français, mais on aurait très bien pu n'engager que des Québécoises juives pour leur enseigner les matières obligatoires. Pourtant, moi, la parfaite Québécoise, je fus accueillie par la direction et mes futurs collègues avec chaleur, oubliant presque les banderoles écrites en yiddish qui virevoltaient tout autour. Mes meilleures amies d'aujourd'hui font d'ailleurs partie de ma vie depuis ma toute première journée dans cette école.

J'ai souhaité user de ces deux années comme une opportunité de m'ouvrir sur le monde, de voyager sans quitter Montréal et de tenter de comprendre sans juger une culture si différente. Parfois, j'y suis arrivée, comme lorsque je faisais découvrir mes traditions québécoises à mes petites élèves curieuses, que j'avais l'impression d'élargir leurs connaissances alors qu'elles s'intéressaient à nos différences ou qu'une mère venait me dire à quel point sa fille aimait se trouver dans ma classe.

Parfois pourtant, ce fut plus difficile.

Censure et déni

L'une des plus grandes difficultés que j'ai rencontrées dans cette école orthodoxe fut mon rapport difficile avec la censure. Une pratique dont il résultait malheureusement une ignorance navrante.

Que l'on interdise aux filles de manger de la nourriture non cachère m'importait peu, mais que la majorité de mes élèves de cinquième année soient persuadé que la langue officielle du Canada était le yiddish et n'aient aucune idée de ce qu'était le Stade olympique me troublait profondément.

Comment mes élèves allaient-elles pouvoir mener une vie heureuse sans avoir accès à l'information (aucune mention d'Internet, de télévision ou de nouvelles «extérieures» n'était permise)? Sans pouvoir marcher sans peur dans les rues (on leur apprend à craindre les chiens - et évidemment les cochons - les étrangers, les symboles religieux et particulièrement catholiques…)? Sans avoir la chance de lire un livre n'ayant pas été soumis à la censure (on biffe grassement, au crayon noir, les images et les mots évoquant la religion catholique, les relations hommes femmes, la biologie humaine ou animale…) ou sans crainte de rencontrer, parler et même toucher une Goye (terme yiddish désignant un non-juif, donc un non-élu)?

Ce déni pour cette vie qui nous entoure, qui est certes différente de la leur, mais qui leur aurait valu la peine d'explorer, a eu raison de ma jolie ouverture. Je ne pouvais continuer à vivre dans le déni à mon tour, en m'imaginant que je ferais un tant soit peu changer les choses. Lorsque mes étudiantes me répondaient qu'elles n'avaient pas fait leurs devoirs de français parce que leurs parents clamaient que ce n'était pas important, lorsque je devais cacher à mes élèves toute information personnelle me concernant (à commencer par mon simple prénom!) ou lorsque je devais rassurer les filles que «ce n'était pas mal d'aimer une non-juive», j'avais un petit serrement au cœur qui, au fil de ces deux années, a tranquillement pris toute la place.

 

J'ai donc remisé mes jupes longues et mes chemises cachères, remis mes pantalons et poursuivi ma route, dans une autre école puis en tant que journaliste voyage, à la poursuite d'un vaste monde que moi, j'avais envie de découvrir sous toutes ses facettes.

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