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Désarmer le Hamas est une illusion

Désarmer le Hamas est une illusion

par Daniel Pipes

Je salue le Général de Brigade (réserviste) Yossi Kuperwasser pour son analyse avisée et instructive. Cela dit, je crois que son plan est susceptible de rendre le Hamas non pas moins mais plus dangereux pour Israël.

Selon lui, Israël mettra fin à la menace du Hamas « en le désarmant, en interdisant son réarmement et en démontrant une fois pour toutes que menacer Israël est sans conteste, contraire à ses intérêts ». Le Hamas s'en trouverait « affaibli et prévenu face à Israël mais suffisamment fort pour gouverner Gaza ». Si le gouvernement israélien met en œuvre le plan Kuperwasser, le Hamas ne pourra plus tourmenter les Israéliens des villes voisines comme Sderot avec des roquettes, ni mettre le feu à leurs champs agricoles au moyen de cerfs-volants, de ballons et de préservatifs piégés, ni lancer des roquettes pour arrêter un défilé à Jérusalem. Ce plan présente un attrait évident pour une population israélienne assiégée mais qui redoute de retourner à Gaza après le retrait unilatéral de 2005.

    Un Hamas dépourvu de projectiles et toujours aux commandes à Gaza équivaut à peu près à un pendant islamiste de l'Autorité palestinienne.

À cela, je réponds que l'arrêt des cerfs-volants, des roquettes et des missiles représente, bien entendu, un avantage pour Israël mais qu'un Hamas dépourvu de projectiles et toujours aux commandes à Gaza équivaut à peu près à un pendant islamiste de l'Autorité palestinienne (AP). Cela donne au Hamas d'immenses opportunités. Depuis que l'AP existe, il y a presque trente ans, le gouvernement israélien a permis à celle-ci d'agresser le pays principalement de deux façons : par la violence et la délégitimation. Qu'importe le degré d'horreur avec laquelle l'AP agit dans ces deux domaines, l'establishment sécuritaire israélien la protège et le Premier ministre la finance.

La violence. En supposant que l'exemple de l'Autorité palestinienne soit suivi, le Hamas peut librement inciter, financer et armer une série d'attaques de faible intensité contre les Israéliens, notamment des lapidations, des coups de couteau, des lynchages, des attaques à la voiture bélier, des fusillades, des attentats à la bombe, des incendies et des intifadas à grande échelle. Les tunnels et les drones suicides devraient également convenir. Bref, « désarmer » le Hamas est une illusion. La violence continuera et pourrait même s'aggraver.

La délégitimation. Compte tenu de ce que dit l'Autorité palestinienne à propos de son « partenaire pour la paix », le Hamas devrait jouir d'une totale liberté de répandre à l'envi toutes sortes de calomnies telles que : les Juifs descendent des singes et des porcs ; le sionisme représente un mouvement impérialiste de suprémacistes blancs soumettant un peuple indigène ; Israël opprime, exploite et massacre une population victime à l'image du Christ. En outre, ils peuvent présenter Benjamin Netanyahou comme le nouveau Hitler, Gaza comme un camp de concentration et les Palestiniens comme ayant vécu cinquante Holocaustes.

Je pourrais m'arrêter ici, après avoir insisté sur le bénéfice limité de ce plan Kuperwasser qui résout un problème tout en laissant deux autres questions en suspens. Mais il y a plus : la mise en œuvre de ce plan pourrait rendre le Hamas encore plus dangereux pour Israël. Voici mon raisonnement :

Bien que l'antisionisme palestinien existe depuis plus d'un siècle (1920 : « La Palestine est notre terre et les Juifs sont nos chiens »), c'est dans les années 1990 qu'il a pris de l'ampleur, quand la gauche s'est retournée contre Israël. Les accords d'Oslo de 1993, signés sur la pelouse de la Maison Blanche, ont créé l'AP, qui a convaincu les grands de ce monde qu'elle avait ainsi accepté l'État juif, faisant d'elle la coqueluche de la scène politique mondiale. Bien entendu, l'Autorité palestinienne n'avait rien fait de tel. Cependant, elle pouvait désormais diffuser le message antisioniste résumé ci-dessus bien plus efficacement qu'auparavant.

La conférence des Nations Unies contre « le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée » organisée à Durban en 2001 a été l'illustration de cette version palestinienne qui a atteint une importance sans précédent et n'a cessé de croître depuis lors. Porte-drapeau de la cause révolutionnaire la plus prisée au monde, les Palestiniens peuvent compter sur les sympathies et les ressources d'un réseau de soutien unique au monde qui comprend des dictateurs, des extrémistes de gauche, des extrémistes de droite, les Nations Unies, d'autres organisations internationales et des légions d'islamistes, de journalistes, de militants, d'enseignants, d'artistes, de prêtres et de divers bienfaiteurs.

L'antisionisme a récemment atteint des sommets jusqu'ici inimaginables, notamment avec le président du Chili, le premier ministre d'Écosse, le chef de l'opposition au Royaume-Uni et la Chambre des représentants des États-Unis. Les tendances actuelles laissent penser que le palais de l'Élysée, le 10 Downing Street et la Maison Blanche sont à portée de main. Ce phénomène représente un danger bien plus grand pour Israël que les attaques cinétiques.

En d'autres termes, alors que la violence palestinienne ne constitue pas une menace existentielle pour Israël, la délégitimation palestinienne en est une. Dans le cas présent, les mots sont plus dangereux que les explosifs. (Pour le Hezbollah et l'Iran, c'est l'inverse.)

Jusqu'à présent, et contrairement à l'Autorité palestinienne, le Hamas reste largement rejeté en tant qu'organisation terroriste, et en grande partie à cause de ses cerfs-volants, roquettes et missiles. Si le Hamas perdait la capacité de lancer des projectiles, ses dirigeants souhaiteraient peut-être suivre la voie de l'AP et signer à plusieurs années d'intervalle les Accords d'Oslo (peut-être aussi sur la pelouse de la Maison Blanche ?). Ce faisant, la caractérisation terroriste de l'organisation prendrait fin automatiquement et le Hamas deviendrait lui aussi la coqueluche internationale, ajoutant ainsi au message nationaliste de l'AP un message islamiste de délégitimation qui accélérerait et renforcerait considérablement la portée de l'antisionisme palestinien.

Habitués à subir les insultes depuis des décennies, les Israéliens ont tendance à laisser s'exprimer la délégitimation comme si de rien n'était. Les vitupérations sont devenues comme un bruit de fond de gémissements. C'est à peine si la politique israélienne prend en compte les Palestiniens que le stratège israélien Efraim Inbar qualifie de « nuisance stratégique ».

    La délégitimation palestinienne menace Israël tout autant que les armes nucléaires iraniennes.

En tant qu'étranger, je crois que les Israéliens sous-estiment l'impact croissant du venin palestinien. Les produits israéliens – armements, haute technologie, matériel médical, techniques agricoles, technologie de l'eau – ont certes trouvé un marché mondial. Il est vrai aussi que l'armée israélienne n'a pas de rival régional. Mais ces atouts ne dispensent pas les Israéliens de la tâche inachevée consistant à gagner l'acceptation palestinienne. En attendant, la délégitimation palestinienne menace Israël tout autant que les armes nucléaires iraniennes.

Ainsi, le plan Kuperwasser accroît potentiellement le danger que le Hamas représente pour Israël, en troquant un ennemi plus violent mais moins influent contre un ennemi moins violent mais plus influent. Un Hamas sans projectiles qui dirige toujours Gaza est un remède pire que le mal.

    M. Pipes (DanielPipes.org, @DanielPipes) est président du Middle East Forum. © 2023 par Daniel Pipes. Tous droits réservés.

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