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Attentat de la rue Copernic : La justice française n’a jamais abandonné

Attentat de la rue Copernic : La justice française n’a jamais abandonné

 

 

par Annette Lévy Willard ( Dans la Règle du jeu)

 

 

Pour la justice française Hassan Diab est bien le terroriste qui a déposé une moto piégée devant la synagogue de la rue Copernic, tuant quatre personnes et faisant des dizaines de blessés à Paris le 3 octobre 1980. Après trois semaines de procès la Cour d’assises spéciale vient de le condamner en son absence à la réclusion à perpétuité et va demander au Canada son extradition.

 

Les secours arrivant, le 3 octobre 1980 à 18h38, à la synagogue de l'Union libérale israélite de France, Rue Copernic, à Paris, suite à l'attentat à la bombe.Le 3 octobre 1980 à 18h38, suite à l’attentat à la bombe dirigé contre la synagogue de l'Union libérale israélite de France, Rue Copernic, à Paris.

 

Je suis dans la petite salle des témoins assise face à une gendarme qui doit m’empêcher d’attraper mon téléphone et de communiquer avec quelqu’un dans la salle de la Cour d’assises spéciale réunie en ce mois d’avril 2023 au Palais de Justice à Paris. Un autre journaliste est cité dans ce procès de l’attentat de la synagogue rue Copernic le 3 octobre 1980, il témoigne avant moi et il m’est interdit d’entendre ce qu’il dit. Je suis témoin, moi aussi.

 

Habituée du banc de presse dans les grands procès, je n’ai jamais été appelée à la barre. Je découvre qu’on n’échappe pas au poids de la solennité, de prêter serment de dire la vérité devant les six juges de cette Cour d’assises et les deux procureurs du Parquet national antiterroriste (PNAT). Je suis debout devant ce tribunal, très émue de ce flash-back de 43 ans. C’est Copernic, l’événement qui a secoué la société française, le premier attentat visant à tuer des juifs en France depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.

 

On pensait que la haine des juifs était un tabou bien verrouillé sous un couvercle.

« Un tremblement de terre » dira-t-on au cours de ce procès de trois semaines devant le box vide où s’assoit habituellement un accusé. « Une fissure. » Une onde de choc qui avait jeté des centaines de milliers de Français dans les rues derrière deux banderoles : « Non au racisme, Non à l’antisémitisme » et «

 

Le fascisme ne passera pas ». L’attaque sanglante avait mobilisé une France républicaine unie au point que les 475 députés de l’Assemblée nationale d’alors avaient voté à l’unanimité la suspension de la séance pour aller rejoindre les manifestations.

 

En cette année 1980, la première d’une décade qui serait violente et décevante, ce retour aux années noires de l’Occupation paraissait invraisemblable et, surtout, intolérable. Mais l’histoire ne se répétait pas, allions-nous vite comprendre, l’extrême-droite néo-nazie européenne n’était pour rien dans cette volonté d’ensanglanter la communauté juive, le malentendu allait se dissiper dans les jours qui suivaient l’attentat. Les enquêteurs allaient constater que tous les indices pointaient une piste terroriste moyen-orientale.

Ce vendredi soir du 3 octobre, j’étais assise à mon bureau du journal Libération, prête à partir pour un week-end parisien de célibataire, quand mon amie Béatrice Vallaeys se précipite sur moi, un télex Urgent à la main – oui c’était au Moyen-Âge, sans ordinateur, sans portable, avec du papier : Un attentat a eu lieu devant une synagogue, hurle-t-elle, fonce !

 

Rue Copernic ajoute-t-elle. Je connais, dis-je, ma grand-mère était l’une des fondatrices de cette synagogue libérale, première branche d’un mouvement juif français qui rejette l’orthodoxie rabbinique. Un judaïsme qui se sent bien avec la laïcité. Pourquoi s’attaquer à cette synagogue du paisible seizième bourgeois ? – me dis-je.

 

Quand j’arrive, la petite rue Copernic qui descend doucement vers la place Victor-Hugo est une zone de guerre comme j’en verrai plus tard dans ma carrière de reporter, à Beyrouth ou ailleurs. Tous les magasins défoncés, les voitures renversées, une marée de verre brisé recouvre toute la rue, cela fume et brûle, les gens hurlent et pleurent, les morts calcinés sont encore là, sur le sol. Dix kilos de pentrite, un des explosifs les plus puissants au monde, cachés dans une moto garée en face de la synagogue avec une minuterie qui s’est déclenchée à 18h40. Un peu trop tôt pour les terroristes, d’habitude l’office du vendredi soir se termine à 19h et une foule d’hommes, de femmes et d’enfants sort, bavarde alors sur le trottoir, se souhaite un « bon shabbat » avant de rentrer à la maison. C’était programmé pour un massacre, ils étaient 320 à l’intérieur fêtant des bar mitzvah quand la grande coupole en verre de la synagogue s’est effondrée sur leur tête, déclenchant un mouvement de panique vers la rue où un terrible spectacle les attendait.

Beaucoup de blessés par les éclats de verre, mais les morts sont des passants dans la rue. Ce qui fait dire au premier ministre Raymond Barre que « Cet attentat odieux qui voulait frapper les Israélites qui se rendaient à la synagogue, a frappé des Français innocents qui traversaient la rue. » Pour lui il y a les Français d’un côté, et les juifs de l’autre, comme du temps de Vichy et de Pétain qui avait décidé, en 1940, que les juifs ne seraient plus des citoyens français comme les autres.

 

A Libération, nous serons les premiers, ce soir-là, avec Serge July, directeur du journal, à nous scandaliser du premier ministre vichyste et nous sortirons une édition spéciale dans la nuit avec cette Une magnifique : NOUS SOMMES TOUS DES JUIFS FRANÇAIS. Le président Giscard d’Estaing continuera à chasser en Afrique, mais François Mitterrand, candidat socialiste à la présidence, sera en tête des manifestations géantes contre le racisme et l’antisémitisme. Avec Simone Veil pourtant de droite, et un demi-million de Français. Six mois plus tard, Mitterrand est élu.

 

Parmi les quatre victimes qui passaient dans la rue, Aliza Shagrir, israélienne en vacances à Paris, Philippe Bouissou, étudiant de 22 ans qui descendait la rue en moto, Jean-Michel Barbé, chauffeur d’une voiture garée devant la synagogue et Hilario Lopes-Fernandes, portugais, gardien de l’immeuble à côté, sont tués sur le coup par l’explosion.

 

Un groupuscule néo-nazi, la FANE (Fédération d’Action Nationale et Européenne) dirigé par Mark Fredriksen, revendique tout de suite l’attentat ce qui oriente d’abord vers la piste d’extrême-droite. Je connais ces nazillons et je n’y crois pas. Par hasard je me suis retrouvée en septembre dans une réunion clandestine de ces nostalgiques du IIIème Reich qui fêtent l’anniversaire de Hitler, un reportage terrifiant que j’ai publié dans Libération sur ces nouveaux antisémites de l’été 80. L’article avait fait du bruit, les gens choqués de voir la haine anti-juive s’exprimer à nouveau à visage ouvert, mais ce petit groupe était à mon avis incapable de monter une logistique aussi sophistiquée que la moto piégée rue Copernic.

« C’est l’honneur des institutions françaises d’avoir persévéré »

 

L’enquête sur l’attentat de la synagogue de la rue Copernic commence le soir même, elle va durer 43 ans. La brigade criminelle, la DST, les juges d’instruction, la cour de cassation… l’État français ne laissera jamais tomber. « C’est l’honneur des institutions judiciaires et policières françaises d’avoir persévéré a dit jeudi l’avocat général Benjamin Chambre dans son formidable réquisitoire devant la Cour d’assises.C’est un signal fort : la France n’abdique pas face au terrorisme. »

 

Quarante-trois ans avec des erreurs, des tunnels d’inaction, des reculs et des avancées.

 

Et un seul accusé : Hassan Diab, 69 ans, libanais nationalisé canadien, respectable professeur à l’université d’Ottawa, qui a refusé de venir au procès. Il est resté au Canada. « Une infamie », a déclaré le ministère public en ouverture du réquisitoire.

 

Le procès s’est déroulé sans l’accusé, mais avec trois avocats pour assurer sa défense, dont Maître William Bourdon, ténor du barreau, avec ses témoins et alibis, avec les responsables des services français qui ont cherché les informations pendant des dizaines d’années, le juge d’instruction qui l’a relaxé, et aussi dans la salle d’audience les victimes juives visées dans l’attentat qui ont enfin parlé, pour la première fois, des blessures et traumatismes.

 

On remonte pas à pas le fil de l’enquête, les indices matériels laissés par le commando terroriste.

 

Un certain chypriote muni d’un faux passeport au nom d’Alexander Panadriyu – ou de Joseph Mathias, deuxième faux passeport – est arrivé venant de Madrid à Paris le 22 septembre 1980, il a logé à l’hôtel Celtic à côté des Champs Élysées, a volé une pince-coupante dans un supermarché, passé une heure dans sa chambre avec une prostituée, acheté la fameuse moto, loué une Citroën (qu’on retrouvera dans un parking avenue Foch) et aurait quitté la France quelques jours après l’attentat.

 

Les explosifs tchèques seraient passés par la Bulgarie, avec la complicité des services secrets Est allemands et soviétiques.

 

Avec des informations venues de « services étrangers », principalement allemands, les services français reconstituent l’itinéraire du commando – ils sont une dizaine à avoir préparé et exécuté l’attentat – mais n’ont aucun nom.

 

On sait déjà que les terroristes font partie d’une organisation palestinienne issue du FPLP de George Habbache, spécialisé dans les détournements d’avions, une branche plus radicale le FPLP-OS (Front populaire de libération de la Palestine-Opérations spéciales), dirigé par Selim Abou Salem. C’est la première partie de l’enquête menée par le juge d’instruction Bruguière.

 

Près de vingt ans plus tard. Les Français n’ont pas abandonné l’espoir de trouver les responsables de l’attentat. La DST revient avec un nouveau rapport qu’elle remet au juge Bruguière en 1999 confirmant que c’est bien un commando du FPLP-OS qui a organisé l’attentat de Copernic, puis celui d’Anvers, identiques : en octobre 1981, au pentrite, visant une synagogue, 3 morts et une centaine de blessés.

 

Cette fois les Français ont un nom : Hassan Diab. Son vrai passeport a été retrouvé avec d’autres

passeports sur un Palestinien du FPLP-OS arrêté en 1981 à l’aéroport de Rome. Les Italiens auraient relâché l’homme en échange de la promesse de ne pas faire d’attentats sur le sol italien… Ils lui ont même rendu tous les passeports après les avoir tout de même photocopiés.

 

Les enquêteurs n’ont donc qu’une photocopie du passeport d’Hassan Diab sans empreinte digitale. Mais selon son passeport, Diab était bien à Paris la semaine où les terroristes ont fait exploser leur bombe.

 

L’enquête décolle, on peut comparer la photo de Diab avec les portraits-robots, la montrer aux loueurs de voiture, aux vendeurs de moto, à la prostituée, aux employés de l’hôtel, au policier qui avait interrogé le voleur de pince coupante.

 

Les experts en graphologie trouvent des similitudes entre l’écriture du professeur Diab et celle des fiches d’hôtel ou de location de voiture remplies par le faux chypriote.

Le juge Trévidic lance un mandat d’arrêt et demande l’extradition de Diab.

 

Au Canada où il est soutenu par Amnesty International et un fort comité de défense, le professeur explique qu’il s’agit d’une homonymie, qu’Hassan Diab c’est Dupont au Liban. Par la suite, autre version, il dira que son passeport lui a été volé, ou perdu en 1981, qu’il ne s’en est aperçu qu’en 1983 parce qu’il n’a pas quitté Beyrouth pendant cette période. Il faisait ses études. Après une longue bataille procédurale, en 2014 le Canada extrade Hassan Diab qui se retrouve en prison en France, attendant d’être jugé.

Rebondissement en 2018, les juges d’instruction Herbaut et Folzer décident de le remettre en liberté au nom de leur intime conviction. Le juge Jean-Marc Herbaut, qui vient s’expliquer au procès d’aujourd’hui sous-entend une sorte de complot israélien qui voulait charger le FPLP-OS alors que l’attentat aurait été commis par le groupe d’Abou Nidal. Il insiste sur les renseignements qui auraient été donnés aux services français par les services israéliens. Les deux juges prononcent un non-lieu. Diab repart au Canada.

La justice française rebondit. La chambre d’accusation annule le non-lieu, et sa décision est confirmée par la Cour de cassation. C’est reparti. Un mandat d’arrêt est à nouveau lancé contre Hassan Diab. Et la marche improbable vers un procès Copernic reprend.

 

Le procès Copernic a lieu 43 ans après l’attentat

Un procès passionnant malgré l’absence de Diab, où l’on apprend par les anciens de la DST, comment ils ont enquêté, comment après la chute du mur de Berlin les archives des services secrets d’Allemagne de l’Est ont révélé leurs secrets.

 

Diab a changé d’avocat et de stratégie. Il se dit toujours innocent et rassemble soudain des témoignages de camarades et de son ex-femme pour prouver qu’il passait des examens à Beyrouth précisément la semaine de l’attentat. Il s’embrouille dans son histoire de passeport « perdu » jusqu’en 1983. On imagine mal un universitaire libanais à Beyrouth dans ces années 1981-1983 qui ne se rend pas compte qu’il a perdu son passeport, la chose la plus précieuse dans le Liban en pleine guerre. Il est victime d’une machination, lui qui ne s’intéresse pas à la politique du Moyen-Orient, dit-il. Une machination ?

 

Quand j’ai reçu la très officielle citation à comparaître comme témoin – punie par la loi si on ne se présente pas – je n’arrivais pas à comprendre pourquoi. Témoin de l’accusation, à la demande des procureurs. J’ai donc relu les très nombreux articles que j’ai écrits dans Libération sur le sujet depuis 1980 jusqu’à… 2014. Moi aussi, j’ai continué à chercher qui avait fait exploser la bombe de la rue Copernic et avec quels commanditaires. Je n’étais pas la seule choquée, à un sondage en 1981 qui demandait aux Français quel était l’événement le plus marquant de l’année 1980 ils avaient répondu : « L’attentat de la synagogue rue Copernic ».

 

Arrivée très vite sur place, suis-je convoquée pour raconter la situation dans cette rue dévastée par la bombe ? Il y a d’autres témoins dans la synagogue et en dehors. Les papiers sur l’enquête ? Tout est désormais dans le dossier du tribunal.

 

A la barre donc, je vois que le président Christophe Petiteau a devant lui un exemplaire agrandi d’un article de Libération que j’ai publié le 3 octobre 1984 pour le quatrième anniversaire de l’attentat : « ISRAEL PERCE LE MYSTERE COPERNIC ». Dans cet article j’écris que les Israéliens ont en effet toutes les informations sur le petit commando FPLP-OS qui a organisé l’attentat en 1980, que le chef de l’organisation arrêté à Beyrouth a été libéré, avec sa femme, au cours d’un échange avec des prisonniers israéliens détenus au Liban et que ce groupuscule terroriste marxiste disparait ensuite entre le Liban et le Yémen. Fin de l’histoire. Mais en 1984 les services français ne semblaient pas au courant de ces détails. Les Israéliens n’ont pas le nom d’Hassan Diab dans leurs dossiers.

 

Devant la cour d’assises, cette semaine, je suis interrogée sur cette « piste israélienne » décrite en 1984 et je comprends qu’un des arguments de la défense, développé par Maitre Bourdon, c’est le « complot israélien ». Pour une raison bizarre les Israéliens auraient, selon l’avocat, intoxiqué les Français dans leur enquête sur Copernic.

 

L’avocat de Diab me demande si je n’étais pas « manipulée » par les services israéliens. Je réponds qu’on ne m’a rien proposé, au contraire je n’ai cessé de chercher des infos sur l’attentat, j’ai cherché du côté des Bulgares, j’ai parlé aux enquêteurs français et, couvrant la guerre du Liban pour Libération, j’ai eu l’opportunité de rencontrer des gens qui, j’espérais, avaient un dossier « Copernic ». En effet. Et d’ailleurs ces informations ont été confirmées par la suite.

 

Dans sa plaidoirie, l’avocat d’Hassan Diab reprend encore sa thèse d’une manipulation des services israéliens. Et finalement agite le danger d’une erreur judiciaire. Du doute. Quand les procureurs, eux, regardent « l’analyse globale des charges contre Diab », parlant de mensonges et d’alibis fragiles qui « ne laissent pas beaucoup de place à l’innocence. »

 

Il y a donc eu procès. Et condamnation ce vendredi 21 avril 2023. Reconnu coupable, Hassan Diab – qui se compare au capitaine Dreyfus – est condamné à la réclusion à perpétuité. Un mandat d’arrêt devrait être suivi d’une nouvelle demande d’extradition qui a peu de chances d’aboutir. Son comité de soutien se mobilise déjà pour faire changer les lois canadiennes sur l’extradition. De toute façon les plaies ouvertes de l’attentat de la synagogue Copernic vont pouvoir se refermer. Grace à la justice française.

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