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Grâce aux Accords d’Abraham, le Maroc autorise des Israéliens à fouiller 2 guenizas

Grâce aux Accords d’Abraham, le Maroc autorise des Israéliens à fouiller 2 guenizas

La normalisation des relations permet aux chercheurs israéliens d'officialiser les liens avec les experts marocains pour étudier les vestiges de la vie juive

Par Melanie Lidman - Times of Israel

Au cœur des montagnes de l’Atlas, dans le désert du Sahara marocain, une synagogue abandonnée en briques crues était en train de se désagréger lentement, son toit se creusant et ses colonnes vacillant, lorsqu’elle a été redécouverte en 2020 par un groupe de chercheurs israéliens et marocains.

Des pilleurs d’antiquités avaient déjà saccagé l’ancien lieu de prière, à la recherche d’objets de valeur et dispersé des textes sacrés juifs qui avaient été enterrés dans la gueniza, un lieu de conservation des textes sacrés anciens ou inutilisables.

Afin de sauvegarder et de pouvoir analyser ce qui en restait, le groupe de chercheurs avait à l’époque, entamé les démarches en vue d’obtenir les autorisations nécessaires pour lancer des fouilles archéologiques sur le site de la synagogue. Les chercheurs israéliens, comme de coutume, ont minimisé les affiliations avec leurs universités d’origine.

Mais en décembre 2020, Israël et le Maroc ont normalisé leurs relations dans le cadre des Accords d’Abraham. Une aubaine pour les chercheurs israéliens qui, après avoir travaillé officieusement au Maroc pendant des années, pouvaient désormais officialiser leurs relations universitaires et poursuivre des projets de recherche conjoints, tels que l’excavation et la préservation de la synagogue.

« Cette recherche est une nouvelle opportunité unique qui s’inscrit à la croisée des changements dans la façon dont les Israéliens pensent aux Juifs du Maroc, à l’accord avec Israël et à la relation entre les Juifs et le Maroc lui-même. », a expliqué la Dr. Orit Ouaknine-Yekutieli, historienne à l’Université Ben Gurion du Néguev, qui a découvert la gueniza avec son partenaire, le professeur Yuval Yekutieli, archéologue à l’Université Ben Gurion, et des experts marocains.

« Notre recherche profite de cette convergence unique d’opportunités, mais elle est aussi le résultat d’années de coopération étroite avec des amis au Maroc, coopération qui était moins formelle qu’aujourd’hui », a-t-elle déclaré.

Une bataille difficile

En tant qu’historienne, Mme Ouaknine-Yekutieli a dû relever des défis sur plusieurs fronts en Israël : à commencer par la reconnaissance de la recherche sur l’histoire des Juifs d’origine mizrahi (orientale) – d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient – pour laquelle il n’y a pas eu autant d’investissements que pour la recherche sur la Shoah et l’histoire des Juifs d’Europe. Et les rares études consacrées à ces communautés juives orientales ont souvent négligé les Juifs des zones rurales au profit d’enquêtes sur la vie juive dans les grandes villes.

Ouaknine-Yekutieli a toujours été attirée par le rude désert du sud du Maroc et par les petites oasis qui ont soutenu la vie juive pendant des milliers d’années et autour desquelles une riche vie communautaire s’est construite au milieu des montagnes austères. Elle a collaboré avec la Dr. Salima Naji, une anthropologue sociale et architecte marocaine maintes fois récompensée, pour étudier le réseau des oasis et déterminer comment les Juifs sont devenus l’une des nombreuses minorités vivant dans ces petits villages.

« L’histoire des Juifs amizighs (aussi appelés berbères) a souvent été reléguée au second plan, et nous essayons de remédier à ce problème », a-t-elle déclaré.
Vue extérieure de la synagogue de Tamanart, au Maroc, depuis la mella, ou quartier juif, en novembre 2021. (Crédit : Autorisation d’Orit Ouaknine-Yekutieli/Yuval Yekutieli)

Le dernier article de Mme Ouaknine-Yekutieli sera publié dans le prochain numéro de la revue scientifique Jewish Social Studies et portera sur les formules spirituelles associées au cimetière juif du village d’Oufran, dans le sud du pays. Le village est considéré comme la plus ancienne implantation juive du Maroc, avec ses pierres tombales datant du troisième siècle de notre ère, voire plus tôt encore.

Les Yekutieli ont collaboré avec des experts marocains, dont Naji, le Dr. David Goeury de l’université de la Sorbonne, le professeur Aomar Boum de l’UCLA et le professeur Mabrouk Saghir de l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine de Rabat, au Maroc.

Ils ont découvert des guenizas dans des synagogues des villages d’Akka et de Tamanart, dont les édifices ont été utilisés pendant des centaines d’années avant d’être abandonnés à la fin des années 1950 et au début des années 1960, lorsque la grande majorité des Juifs marocains ont émigré en Israël.

L’ANU – The Museum of the Jewish People a organisé en mai une série de conférences sur le judaïsme marocain. La première de la série a été donnée par les Yekutielis et a porté sur certaines des traditions liées aux charmes découverts dans les guenizas.

L’un des défis des fouilles archéologiques dans le sud du Maroc est que tous les bâtiments ont été construits en boue, ce qui rend leur excavation très difficile et les expose à un risque élevé de destruction par les éléments par la suite. Cela exige un travail minutieux consistant en des excavations très lentes et une conservation immédiate en utilisant des artisans et des matériaux locaux pour reconstruire les bâtiments de la même manière, a expliqué Yuval Yekutieli.

« Quand nous sommes arrivés, il n’y avait plus de toit, les colonnes basculaient, et les murs s’effondraient », se souvient Yekutieli.

Juste avant de fuir, les Juifs d’Akka ont creusé un trou dans la bima, la plate-forme de prière centrale, pour y enterrer des lettres, des formules magiques écrites sur du parchemin et des textes sacrés, dont des rouleaux de la Torah. À Tamanart, ils ont placé leurs objets sacrés dans un trou dans le mur.

Lorsque les chercheurs sont entrés dans les deux synagogues, nombre de textes étaient éparpillés sur le sol, témoignage des pilleurs d’antiquités qui avaient déjà fouillé les bâtiments à la recherche d’objets de valeur. Ouaknine-Yekutieli raconte qu’avant d’obtenir l’autorisation de retourner sur place et de commencer les fouilles, des pluies torrentielles et des inondations se sont abattues sur la région, pour la première fois depuis près de six ans. D’un côté, les chercheurs ont essayé de partager la joie des villageois face à la pluie, mais d’un autre, ils étaient inquiets et craignaient que les textes ne soient abîmés.

Lorsqu’ils sont retournés sur le site avec les permis juste après les pluies, ils ont été ravis de découvrir que la plupart des documents étaient bien enfouis dans les murs ou les sols en terre battue de la synagogue. L’humidité de la pluie les avait, en fait, aidés.

« Nous avons passé plusieurs jours et plusieurs nuits à extraire tous les papiers et à les déplier alors qu’ils étaient encore humides ; s’ils avaient séché, ils se seraient désintégrés sous nos efforts de les ouvrir », explique Mme Ouaknine-Yekutieli.

« En tant que Marocains, nous disons que ce sont les nombreux tzaddikim (Juifs vertueux) et maraboutim (hommes saints de l’islam) qui se trouvent dans ce lieu qui ont veillé sur la gueniza et protégé notre projet », a-t-elle ajouté.

Si pas aujourd’hui, quand ?

Les guenizas ont mené à un certain nombre de découvertes intéressantes, notamment que les deux villages étaient probablement des centres où étaient rédigés toutes sortes de formules magiques et kabbalistiques censées protéger les femmes en couches, les enfants ou les personnes âgées. Parmi les autres documents, on trouve des lettres de rabbins adressées à diverses communautés, datant des XVIIe et XVIIIe siècles jusqu’aux années 1950, ainsi que des documents fonciers légaux entre les juifs et leurs voisins musulmans.

Les guenizas constituent une véritable mine d’informations sur les liens sociaux et les traditions propres aux Juifs du Maroc, qui accordaient une grande importance aux charmes kabbalistiques.

Les parchemins sont actuellement conservés à Rabat, mais le projet a besoin de fonds pour rechercher et numériser tous les objets trouvés dans les guenizas. Ces guenizas comptent parmi les plus importantes découvertes récentes faites au Maroc et offrent une occasion inestimable de comprendre la culture du sud du Maroc à travers les âges, a déclaré Mme Ouaknine-Yekutieli.

Bien que les traditions de la vie juive dans le sud du Maroc remontent à des milliers d’années, il est urgent de procéder à des fouilles archéologiques et à des recherches maintenant, car de nombreux Marocains qui vivaient dans ces villages sont encore en vie en Israël.

« La micro-histoire nous permet d’en apprendre beaucoup plus sur la communauté, et nous pouvons même parler à ceux qui sont partis », explique-t-elle. « Imaginez si les archéologues excavant un village en Israël pouvaient appeler les anciens habitants et leur demander quelle famille vivait dans quelle maison, ou à quoi servait tel ou tel bâtiment », a déclaré Mme Ouaknine-Yekutieli.

Bon nombre des Juifs marocains qui ont fui à l’âge adulte sont trop âgés pour voyager aujourd’hui, mais Orit Ouaknine-Yekutieli leur fait visiter les villages par vidéo, pour qu’ils signalent les éléments que les chercheurs auraient ratés.

« Nous remontons le temps et voyons le moment où ils ont quitté les lieux à la fin des années 1950 », explique-t-elle. « L’histoire de cette région est tellement riche, elle contribue à diversifier les récits que nous connaissons sur l’histoire des Juifs marocains ».

« Nous essayons de montrer la joie de cette communauté de Juifs du Maroc et comment, à travers les histoires d’une communauté spécifique, nous arrivons à une meilleure connaissance du judaïsme marocain », a-t-elle ajouté.
Une amulette portant un nom mystique de Dieu gravé dans le métal, datant probablement de 100 à 200 ans, trouvée dans la synagogue de Tamanart, au Maroc, en novembre 2021. (Crédit : Autorisation d’Orit Ouaknine-Yekutieli/Yuval Yekutieli)

Alors qu’Orit Ouaknine-Yekutieli s’efforce de faire découvrir la vie des Juifs marocains en Israël, on observe également un regain d’intérêt pour les Juifs marocains… du Maroc, dont le nombre s’élève aujourd’hui à environ 2 500.

En 2018, avant la normalisation, le roi Mohammed VI du Maroc a ordonné aux établissements scolaires d’intégrer l’étude de la Shoah dans leurs programmes. « L’éducation a le pouvoir de lutter contre la discrimination et le racisme, ainsi que contre le phénomène hideux de l’antisémitisme », avait-il déclaré à l’époque.

L’un des conseillers personnels du roi, André Azoulay, qui est juif, a joué un rôle déterminant dans la promotion de l’enseignement de l’histoire juive dans les écoles marocaines. Il a également aidé Mme Ouaknine-Yekutieli et son équipe de différentes manières. De nombreux chercheurs marocains avec lesquels elle travaille ne sont pas juifs mais s’intéressent à l’histoire juive de la région. Boum, un professeur marocain qui travaille également à l’UCLA, effectuait des recherches sur la vie juive à Akka avant l’arrivée des Yekutieli.

« Cela fait partie de la tendance générale de ces 20 dernières années qui voit l’intérêt du Maroc pour son histoire juive grandir », a déclaré Ouaknine-Yekutieli. « Le Maroc est en train de développer son identité en tant que pays diversifié et multiculturel, et cela inclut son identité juive. »

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