Dafina.net Le Net des Juifs du Maroc

 

PROFESSION : PRODUCTEUR, par Bob Ore Abitbol

 

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Pour chacun des enfants que nous étions , aller au cinéma, quel bonheur !

C’était une fête et pour tout dire tout un événement !

On s’y préparait longtemps à l’avance, après la dafina, plat traditionnel du Shabbat, nous demandions notre « semaine » c’est a dire  quelques francs aux parents et avec les copains, les amis  nous allions soit au Cinéma Régent ou a L’Apollo voir les films de Tarzan et de Zorro ou encore au Cinéma Lynx ou bien  au Rialto voir les derniers films de James Dean ou de Marlon Brando.

Je ne pouvais cependant me contenter du rôle passif de spectateur. Je voulais pouvoir agir ! Être quelque chose dans cette magie naissante.

Nous vivions encore à la Rue Lusitania, à Casablanca, rue et quartier particuliers alors et qui le sont restés jusqu' aujourd’hui.

Ah ma rue ! j’entends encore le rire des enfants qui criaient, qui jouaient  dans les terrasses inondées, éclatées de soleil.

Nous vivions dans l’harmonie avec les musulmans qui partageaient nos joies, nos soucis, nos fêtes.

Vous décrire l'ambiance de  ma rue ? Impossible ! Elle ne ressemblait à aucune autre.

Les filles y étaient plus jolies, les garçons plus entreprenants, les études prises au sérieux, les ambitions démesurées, les parents plus stricts.

Six épiciers, deux synagogues, deux fours, un bain maure pour une rue qui en somme n’était ni longue ni large : un village a elle toute seule 

 Encore aujourd’hui alors que nous, juifs, sommes partis depuis longtemps, envolés aux quatre coins du monde sous tous les horizons et  que des musulmans nous ont remplacés depuis,    la rue, notre rue, n'a rien perdu de sa magie.

Les filles continuent d'être belles même si elle s'appelle Khadija au lieu de Marie ou Suzie et  les garçons veulent comme nous auparavant conquérir le monde.

Nous pouvons  changer de nom  et de visage, ma rue toute belle, toute joyeuse,  reste ce qu’elle a toujours été : une inspiration, une motivation, une émulation !

Je devais avoir près de dix ans lorsque je reçus de mon très cher père, comprenant ma passion, un projecteur de films à manivelle dernier cri  acheté à prix fort  à une vente aux enchères.

Comme je rêvais depuis ma plus tendre enfance de faire du cinéma, quels que soient le rôle ou la fonction, ce cadeau prodigieux venait confirmer ma vocation, affirmer mes plus folles ambitions et me promu instantanément au noble titre de « producteur ».

Dès la semaine suivante, je m’installais chez l’un de mes voisins, Lolo Lévy, dont les gentils  parents Ito et Baba Sidi se prêtèrent au jeu.

J’étalais un grand drap blanc sur le mur du salon arabe au sous -sol, me procurais quelques films de l’incontournable Charlot puis fis le tour du quartier pour promouvoir ma nouvelle salle de Ciné et mon film.

Tous les gosses du quartier, en mal de divertissement, la télévision n’étant qu’à ses balbutiements,    accoururent.

Contre quelques francs, un crayon à peine entamé, une gomme pratiquement neuve, je laissais entrer dans ce sanctuaire mes nouveaux spectateurs.

Nous attendions que la salle soit pleine pour éteindre la lumière et accompagné du bruit mécanique de l’appareil,  la projection pouvait commençait.

Dès que Charlot apparaissait, les rires fusaient, clairs et répétés comme des cascades.

Il fallait voir les visages de tous ces petits garçons et de toutes ces petites filles, les yeux brillants, hilares, les cheveux à la diable, se tenant par la main ou par les épaules comme pour mieux partager, dans une communion parfaite, ces moments de joie pure.

Il me semblait que c’était moi qui les faisais rire, moi le catalyseur de toutes leurs émotions, moi qu’ils remerciaient de leur procurer ces moments de douce  félicité.

Très vite la renommée de « mon complexe cinématographique » fit le tour du quartier et le déborda.

On venait de partout, de la rue Lacepède bien sûr, notre rue voisine mais aussi de la place de Verdun, de la  rue Verlet Anus, du Bd Gouraud, de la Rue des Anglais. Jacques De Gouveia, mon meilleur ami, venait spécialement du lointain et snob  Boulevard d’Anfa pour supporter mes efforts et m’encourager.

Le succès était tel qu’il me fallait certains jours faire plusieurs séances pour satisfaire à la demande.

Certains VIP entraient sans payer, surtout les gosses de riches, compliment du producteur. Comme quoi ce sont toujours les riches qui profitent !

Parmi ma nombreuse et fidèle clientèle se trouvait un grand escogriffe du nom d’André Charbit, un grand garçon de 14-15 ans, cheveux coupés court à la brosse, les yeux rétrécis par des lunettes avec des verres comme des fonds de bouteille, portant encore, malgré son age, des culottes courtes et des bretelles.

Il me fit dire qu’il sollicitait une entrevue pour « une proposition d’affaire ».

Je le reçus dans mon bureau privé c’est-à-dire sur les escaliers de l’immeuble de chez nous. Il me félicita pour mon esprit   d’initiative et ma créativité et me fit la proposition suivante : 

Il me rachetait mon fond de commerce composé de mon appareil à manivelle, les quelques films 8mm qui constituaient ma collection, et le droit d’asile dans la salle de projection dans le sous-sol des Lévy pour la somme faramineuse de 15 mille francs, presque 30 dollars de l’époque.

J’acquiesçais  !

Avec cet argent, pensais-je naïvement,  je pourrais m’acheter un appareil plus sophistiqué, moderniser mes installations, diversifier le choix de mes films, élargir et fidéliser ma future clientèle. 

J’étais certain que mon père qui suivait avec intérêt mes progrès serait  fier de moi.

Je me voyais déjà en concurrent direct de la « Metro Goldwin Mayer » que j’admirais et dont le magnifique lion rugissant et le fameux logo ornaient le fronton d’un immeuble proche du Bd de la Gare connue plus tard sous le nom de Bd Mohamed V, en face des Galeries Lafayette « Lanoma » où travaillait  jadis ma courageuse mère.

André Charbit ne pouvait pas payer tout de suite, mais il m’assura, parole d’honneur, qu’il le ferait très rapidement.

J’acceptais ses conditions.

Dès la semaine suivante, c’est lui qui devint le patron en titre de toute l’opération et de mes super productions, lui qui désormais vendait les billets ou troquait des menus objets comme je le faisais moi-même quelques jours plus tôt.

Cependant mon importance avait diminué dans le quartier. Les quelques flatteurs et autre lèche culs qui me faisaient la cour et m’accordaient leur amitié factice pour entrer à l’œil disparurent de mon entourage pour fréquenter le nouveau propriétaire.

Les ordures m’avaient abandonné à son profit et c’est lui désormais qui tirait avantage de cette cour de faux admirateurs 

N’empêche ! Ça me manquait !

Lorsque j’arrivais, il faisait un signe au contrôleur pour me laisser passer sans payer, la moindre des courtoisies envers l’ancien patron que j’étais.

Il me devait bien ça.

Mais d’argent point !

Lorsque je le questionnais, il me faisait un vague geste de la main  et me disait « plus tard, plus tard ! »

Je râlais, mais ne pipait mot ne voulant pas l’embarrasser outre mesure devant « ses » clients.

Mais le temps passait et les promesses de remboursement se faisaient de plus  en plus molles.

Il prétextait qu’il était occupé par les séances, il devait se procurer de nouveaux films, les recettes n’étaient pas à la mesure de ses attentes, il me négligeait et refusait même de me voir à présent.

Bref, Il m’évitait ! 

Il habitait tout à fait en haut de la rue Lusitania, au numéro 4 ou 6  tout près de la place de Verdun, en face du four et  du bain maure ou ma mère m’entraînait tous les vendredis après midi pour un nettoyage complet.

 Mr Elharrar le vendeur en gros d’œufs oeuvrait non loin, à côté le dépôt de l’huile Familia et de Mahia Taourirt, la plus fameuse de toutes les eaux de vie connue et plus loin encore la maison du propriétaire des Vins le Palmier , Mr Amsellem , un vin infâme mais cacher que nous devions acheter bon gré mauvais gré vu qu’il était notre voisin.

Un jour, animé par l’esprit d’injustice de cette pénible affaire, je pris mon courage à deux mains, et, décidé, j’allais voir la mère de cet André Charbit.

Sûr de moi malgré mon jeune age, j’avais de grands yeux expressifs et étant systématiquement premier en français de ma classe, m’exprimais plutôt bien.

Je montais les 3 étages de l’immeuble relativement cossu où  habitaient Charbit mère et fils, et frappait a l’aide de  la main en bronze sur la porte.

C’est la mère qui m’ouvrit

C’était une veuve éplorée toujours vêtue de noir, bien que son mari fût mort depuis longtemps, copie conforme de son rejeton unique : Cheveux raides comme les fibres d’un balai lui tombant droit sur la nuque, et des lunettes lui faisant des yeux tout petits, identiques a ceux de son fils.

D’une voix claire et déterminée, j’expliquais la situation à la mère qui m’écoutait avec attention, un sourire aux lèvres. Elle se tenait toute droite devant la porte avec son visage ingrat ravagé par le temps, les souffrances, les incertitudes, le travail, les privations et que sais-je encore ?

Elle m’écoutait vraiment comme si elle compatissait totalement à mon désarroi.

Devant cet accueil, je m’animais d ’avantage encore, expliquais l’incongruité de la situation, la malhonnêteté de son fils, son incorrection, son manque de parole.

C’est alors que le grand escogriffe de fils apparut.

Tous les deux ainsi côte à côte, si la situation s’y prêtait, paraissaient un duo comique.

-         Viens maman! viens! pourquoi tu perds ton temps ? Tu sais bien qu’on n’ va rien lui donner.

-         Je  sais, je sais, qu’on n’va rien lui donner mais dit-elle sérieusement, il est sympa ce petit j’aime bien l’entendre parler !

Outré j’allais chercher mon père à qui j’expliquais tout.

Jamais vous n’auriez pu rencontrer homme plus doux et plus tranquille que mon père. Ses yeux couleur miel et noisette dénotaient cette bonté extrême qui le faisait aimer de tous et de toutes.

 Charmant, brillant conteur, sympathique, grand travailleur, il était imprimeur relieur lui qui ne savait ni lire ni écrire.

Après mes cours au Lycée je venais corriger les épreuves et les titres qu’il inscrivait en lettres d’or au dos des livres précieux qu’il reliait.

C’est là que j’ai fait  mes premières lectures intéressantes de jeune adulte que j’étais déjà malgré mon jeune age.

Pendant qu’il détachait les  différents folios, je me cachais dans l’attique au premier étage de son bel atelier, Rue Blaise Pascal, en face des Services Municipaux et du Consulat de France et je lisais jusqu'à la fermeture.

Si un client venait chercher le livre que je lisais, il lui répondait qu’il n’était pas prêt de façon a me permettre de finir ma lecture.

Lui qui ne savait ni lire ni écrire , n’était pas peu fier de voir son fils avide de littérature et de savoir.

C’était comme s’il le faisait  lui-même.

Je le voyais parfois lever des rames immenses de papier, les introduire dans un massicot sophistiqué et dangereux et  dans un grand bruit de lame les couper en feuillets pour les imprimer plus tard.

Je le voyais travailler sans arrêt et avec force  pour nourrir sa nombreuse famille. Il coupait, imprimait, cousait et reliait tous ces livres avec de la colle blanche  qu’il fabriquait lui-même avec de la farine et de l’eau  pour économiser. Elle restait accrochée à ses doigts comme une marque de fabrique indélébile.

Il était doux et tranquille et avait horreur de la violence mais fallait pas toucher à ses enfants !

Un jour, je l’ai vu de mes yeux vu, soulever un épicier arabe, deux  fois plus grand que lui qui avait osé nous menacer et nous bousculer.

Il l’avait soulevé de terre comme si de rien n’était, l’avait secoué comme un prunier et projeté contre le mur de toutes ses forces. Sans un mot !!

Après cette mise au point magistrale, jamais plus ni l’épicier ni personne dans le quartier, ne nous manqua désormais de respect .

L’injustice que je subissais de la part des Charbit lui était insupportable.

Laissant son travail en plan, il me prit par la main et nous nous dirigeâmes vers l’immeuble des deux larrons d’un pas ferme. Nous  traversâmes rapidement la grande place des services municipaux

où se trouvait encore la statue équestre du Maréchal Lyautey puis le boulevard Gouraud jusqu'au bout puis enfin  la belle rue Lusitania à proximité de la Place de Verdun   et nous montâmes  4 à 4 l’escalier nous menant à l’appartement des Charbit.

Arrivé devant leur porte, il frappe 3 coups secs.

Ses coups répétés ne laissent aucun doute sur ses intentions.

C’est ou l’argent ou le projecteur immédiatement !

-Va vite chercher l’appareil crie la mère décontenancée et prise de court.

-Et les films ! réclame mon père, tout de suite !

Très fier, la tête haute, mon matériel récupéré, mon honneur sauf  et ma réputation  restaurée, je réintègre un grand sourire aux lévres,  mon quartier, ma rue, ma maison, tenant serrée très  fort dans ma main, la main pleine de colle et tellement, tellement douce de mon très cher papa chéri.

 Bob Oré Abitbol

 

 

 

 

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