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                        MA JEUNESSE DANS LA ALIAH CLANDESTINE 1959-1961
          SUITE 1
             par Dan Knafou

 

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Chaque nouvelle recrue était introduite auprès du Shaliah qui portait une cagoule. Il se tenait devant une table enveloppée du drapeau israélien, sur laquelle étaient posés une Bible et un revolver. La recrue prêtait alors serment de fidélité à l’État d’Israël et au peuple juif, et s’engageait à garder le secret sur toutes nos activités communes, et ceci se faisait en présence des plus anciens haverim.

Bien entendu, les règles de sécurité étaient sévères. Les haverim portaient tous un pseudonyme et chacun arrivait seul ou avec un haver. Ils faisaient le tour du pâté de maisons pour s’assurer qu’aucune surveillance ne nous menaçait. En général, le meublé se trouvait dans un immeuble à double issue. Nous avions mis au point un système de rendez-vous alternatif. Chaque rendez-vous était  fixé à une heure et un endroit précis et, si le contact faisait défaut, le rendez-vous était reporté deux heures plus tard à un autre endroit fixé d’avance. Souvent, les rencontres avaient lieu à des terrasses de café et, en signe de reconnaissance, le contact était identifié par la marque d’une certaine boisson ou la une d’un certain journal.


6 - Keness des haverim à Casablanca

J’ai implanté un premier groupe de haverim de l’Hashomer Hatsair à Casablanca, puis à Fez, Meknès, Marrakech, et Rabat. À tour de rôle, Shimon, le shaliah, et moi-même visitions régulièrement tous ces groupes en allant de ville en ville. Nous faisions des conférences sur différents sujets et nous organisions des activités de plein air et de camping dans différents endroits au Maroc. Et c’est ainsi que nous avons réussi à former un premier Garin Solelim qui ferait son Aliya au kibboutz en Israël.

Il est certain que les mouvements de jeunesse ont été le creuset dans lequel nous avons puisé pour former des haverim susceptibles de travailler pour l’émigration clandestine, la Makela, et pour d’autres tâches beaucoup plus secrètes. Mais il faut aussi mentionner tous ceux que j’ai connus personnellement et qui venaient d’Europe et d’autres pays d’Afrique du Nord, tels que Hubert Corchia z’l et Roger B…., pour ne nommer que ceux-là. Ils étaient pour la plupart originaires d’Oran en Algérie, et passèrent environ deux ans au Maroc pour superviser l’émigration illégale.


7 - Hubert Corchia z’l et Roger B…..

Roger B…. joua un rôle très important pendant notre « lune de miel », dont le récit de cette époque est évoqué plus loin.

Afin d’enrayer l’émigration vers Israël, les autorités marocaines ne délivraient que très peu de passeports aux Juifs, et c’est donc à ce moment que les organisations israéliennes sont passées à l’action en délivrant de faux passeports, en créant un réseau chargé de transporter les familles jusqu’aux plages où des embarcations les attendaient pour les mener ensuite vers un petit bateau qui les débarquait à Gibraltar, ou ailleurs en Espagne, pour enfin être dirigés vers la Terre Promise.

Les premiers haverim que nous avons délégués au travail de l’Aliya étaient Ouri M…. et feu Gégène Chocron z’l, tombé au combat dans le Golan durant la guerre des six jours. Ces deux haverim, après avoir cessé leurs activités au mouvement de jeunesse, furent affectés à l’émigration.


8 – Gégène Chocron z’l, tombé sur le Golan

Cependant, après avoir accompli un excellent travail, ils furent « brûlés » et quittèrent le Maroc pour se retrouver à l’Ahshara d’Agen en France. Ces deux haverim ont été les premiers membres du Garin Solelim.

Je me souviens qu’une nuit, le shaliah me rendit visite pour m’informer que le département de la Aliya avait besoin d’aide pour une grande opération. Mon rôle consistait à me rendre à Fez pour prendre en charge cinq garçons âgés de 10 à 12 ans, et les acheminer vers Casablanca. Leurs parents en pleurs me les confièrent en s’assurant qu’ils portent des uniformes de scouts. On leur apprit qu’en cas de questions quant à leur destination, ils devraient répondre qu’ils étaient en route pour un grand Jamboree.

Les enfants avaient faim et j’ai réalisé que, dans l’émotion, leurs parents avaient même oublié de leur donner de la nourriture. Lorsque l’autobus s’arrêta pour une pause, je leur achetai des sandwichs et des boissons. Tout en dégustant les sandwichs un des garçons me demanda si c’était casher ! Et là, sans hésiter, je mentis pour une bonne cause !

Arrivés à Casablanca, je confiai les enfants à un autre membre du mouvement qui les prit en charge pour la nuit. Le lendemain matin, je vins les chercher en voiture et nous prîmes la direction du Nord du Maroc. À un arrêt prévu d’avance, les enfants furent embarqués dans un autre véhicule, et je retournai à Casablanca. Quinze jours plus tard, nous reçûmes un télégramme du gouvernement israélien, transmis par nos shlichim, nous félicitant de notre participation réussie au départ et à l’émigration de 250 enfants dans le cadre de l’Aliyat Hanoar. Nous fûmes très heureux de ce succès, fiers de savoir que les enfants étaient arrivés sains et saufs, et qu’un bel avenir s’offrait à eux. Cela démontrait l’efficacité de nos organisations dont chaque contribution, si petite soit elle, ajoutait aux succès de tous les groupes.

Je dois louer le courage et la détermination des parents qui témoignèrent une confiance totale envers l’État d’Israël et nos différents mouvements.

Lorsque les membres d’une famille prenaient contact avec l’organisation, manifestant leur désir de faire Aliya, ils étaient immédiatement pris en charge. On leur faisait alors part d’une date approximative pour leur départ et on leur demandait de se tenir prêts et de se débarrasser discrètement de leurs possessions, afin de ne pas éveiller les soupçons du voisinage. Chaque membre de la famille n’avait droit qu’à une seule valise ne laissant que peu de choix entre le nécessaire et l’indispensable.

Il arrivait que, le jour venu, la date soit repoussée. Les familles devaient alors survivre sur le peu dont elles disposaient, et il fallait souvent les supporter en leur donnant les moyens de se nourrir. L’attente continuelle était notre plus grand ennemi. Les émigrants, et nous-mêmes, vivions dans l’anxiété de départ, la peur d’être remarqués et même arrêtés, ce qui minait le moral de chacun. Toutefois, la force du désir de ces familles de rejoindre la Terre d’Israël prenait le dessus et, tout en écrivant ces lignes 44 ans plus tard, les larmes me montent aux yeux et je me remémore le courage de ces familles anonymes, simples, riches d’espoir et qui, sans mot dire, prouvaient à chacun de nous que le Sionisme n’était pas un vain mot.

À ce propos, je me souviens d’une rumeur qui courait dans le Mellah : Le propriétaire arabe du four, dans lequel les familles juives avaient apporté leur dafina du samedi, voyant que des plats n’avaient pas été récupérés, s’exclamait : « Ah! Encore 10 familles qui sont parties en Israël! ». Cette rumeur reste gravée dans ma mémoire jusqu’à ce jour et démontre que nul ne pouvait prévoir de date de départ précise.

Vers la fin octobre 1960, un deuxième groupe du Garin Solelim, composé de quatre membres sous les pseudonymes de Orna, Moshe, Lulu, Félix, et Youval, prit le départ pour l’Achshara d’Agen en suivant la filière des sans-papiers. Quelques jours plus tard, nous apprîmes qu’ils avaient été arrêtés à la frontière et emprisonnés à Nador, ville du Rif au bord de la Méditerranée. Immédiatement, l’organisation mandata des avocats pour les faire libérer. Bien entendu, tous les haverim étaient inquiets pour leur santé, ainsi que de leur réaction aux éventuels interrogatoires. Tous les membres de l’organisation qui avaient été en contact avec eux furent mis au « vert », et certains groupes cessèrent toute activité afin d’assurer la sécurité. Nous fûmes soulagés d’apprendre de la part de l’avocat chargé de leur défense qu’ils n’avaient pas beaucoup souffert des interrogatoires.

Nous entrâmes en contact avec les familles pour qu’elles rendent visite aux prisonniers, mais ce projet s’avéra plutôt risqué. Je me portai volontaire mais, compte tenu du fait que j’étais connu des 5 haverim, et probablement brûlé moi-même, on refusa cette option. Malgré cela, j’insistai en avançant le fait qu’en tant que natif de la même ville, comme Lulu, je pouvais me faire passer pour son cousin car il paraîtrait plus normal qu’un membre de la famille rende visite à l’un des prisonniers. Le lien avec l’avocat était insuffisant et nous étions déterminés à les informer que nous étions solidaires dans leur malheur et que nous étions disposés à leur acheminer de la nourriture et des cigarettes afin d’atténuer leur souffrance.

Dès que la décision fut prise, je décidai de me raser le bouc pour éviter d’être reconnu, et je pris le train à destination d’Oujda, ville située à la frontière algéro-marocaine. Après une nuit passée dans le train, j’arrivai à Oujda, ville qui m’était tout à fait inconnue, et je tâchai de trouver un transport pour Nador. Il s’avéra qu’aucun transport public de jour n’existait pour Nador. Je dus donc me résigner car les heures de visite n’étaient permises que dans la journée. Un homme, qui m’avait entendu m’enquérir des moyens de transport vers Nador, s’approcha et me proposa de m’y conduire, moyennant paiement. Je pris pour acquis qu’il s’agissait d’un un taxi collectif, cependant, en chemin je m’aperçus que ce n’était pas le cas. J’avais commis une erreur et ma sécurité était en cause. J’étais assis sur la banquette arrière que je partageais avec un Marocain, tandis qu’une femme occupait le siège avant. Chacun de nous paya sa part. Chemin faisant, le chauffeur me demanda la raison de mon séjour à Nador et  je lui répondis que j’étais en vacances et que je voulais profiter de la plage à Melilla. Il m’invita à lui rendre visite chez lui et m’apprit qu’il était policier à la frontière Nador-Melilla, enclave espagnole jusqu’à ce jour. L’angoisse me prit aux entrailles et je fis des efforts surhumains pour ne pas me laisser aller à la panique.

Mais le conducteur était jovial et entreprit de tripoter la passagère. Celle-ci s’offusqua et tenta d’ouvrir la portière, alors que nous roulions à vive allure. Le conducteur perdit le contrôle du véhicule qui fit plusieurs tonneaux avant de s’immobiliser, les roues en l’air, au fond d’un ravin. Heureusement, nous étions indemnes, à l’exception de la passagère qui avait disparu. Nous gravîmes la pente du ravin et, arrivés sur la route, nous aperçûmes le corps ensanglanté de la femme gisant à quelques cent mètres de nous. Ce fut la panique totale, la femme criait et je n’avais qu’une idée en tête, disparaître! Mais comment? Le plus terrible était que je craignais une intervention de la police et une enquête approfondie, qui pouvaient rapidement démolir mon alibi de vacances à Melilla. Je ne sais si ce fut un hasard ou un miracle, mais un autobus apparut je ne sais d’où. Je lui fis signe d’arrêter et je m’y engouffrai aussitôt. Cet imbécile de policier trouva bon de courir après moi pour me rendre mon argent, au lieu de s’occuper de la pauvre femme, mais je refusai et l’autobus démarra.

J’arrivai enfin à Nador et me mis en quête d’un endroit où faire une légère toilette et reprendre mes esprits. C’était une ville bien arabe avec une grande avenue bordée de cafés maures. J’étais plutôt à la recherche d’un café européen, comme on en trouvait dans toutes les villes du Maroc, lorsque au bout de l’avenue menant à la mer, je découvris un superbe restaurant sur pilotis. J’y entrai et me dirigeai vers les toilettes où je pus me déshabiller. Un tas de petits fragments de verre tomba à terre et je pus constater que je n’avais aucune blessure. Je commandai un café et un sandwich, puis j’achetai des conserves, des fruits frais et des cigarettes américaines pour mes amis.


9 – Le restaurant sur pilotis de Nador

Avec beaucoup d’appréhension, je me présentai à la prison. Après avoir rempli un formulaire et répondu à de nombreuses questions, j’eu enfin accès au parloir où Lulu  « mon cousin » m’attendait. Ce fut la joie, la surprise ! De ci de là, je pouvais apercevoir les autres haverim qui essayaient de me faire des signes de loin. Mon arrivée fit le tour de la prison comme une traînée de poudre. Leur moral était excellent. La seule ombre au tableau était le fait qu’Orna était isolée des autres parce qu’elle se trouvait dans la section des femmes. Mais Lulu me rassura en me disant qu’elle tenait le coup aussi bien qu’eux, malgré son isolement. Je l’ai cru sur parole car je connaissais son caractère fort et optimiste.

Mon seul problème était que le gardien nous imposait de parler Arabe. Mon arabe était catastrophique. Avec quelques paquets de Marlboro je réussis à le faire changer d’avis. Le miracle se produisit et nous pûmes converser en Français. Après avoir parlé de tout et de rien, je lui fis comprendre que nous faisions tout ce qui était humainement possible pour les faire sortir de ce trou le plus vite possible. Après des au revoirs émouvants, je quittai Nador. J’y retournai une seconde fois, pour accompagner la sœur d’Orna. Mais cette fois tout se passa sans incident. Nador aujourd’hui est devenue une grande ville de l'industrie métallurgique et minière du Maroc et ce fameux restaurant existe encore.

Un mois plus tard, ils furent libérés. Mais cette libération était conditionnelle, car ils devaient retourner chez leurs parents. Bien entendu, l’organisation les prit en charge et les installa dans un petit hôtel à Tanger où ils devaient attendre leur départ.  


10 - Les prisonniers désormais libérés avec Dan et Daphna
          
 

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Repas traditionel du chabbat, ce mets a base de ble, pois chiches et viande etait cuit toute la nuit dans un four ferme a basse temperature. Le mot vient de l'Arabe dafina/adafina qui veut dire "couvert, etouffe".
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