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Les arbres du Paradis,par Driss Ghali

 

 

 

 

Les arbres du Paradis,par Driss Ghali

 

Mon père est décédé il y a quelques semaines. Il m’a appris à tenir en haute estime l’héritage juif du Maroc. A ses yeux, il allait de soi que le judaïsme illuminait d’une manière singulière l’identité marocaine.

Adolescent dans les années 1950 à Marrakech, mon père faisait les quatre cents coups avec ses camarades juifs du Lycée Mangin. Il importait peu qu’il fût musulman et eux « israélites », la jeunesse et la joie de vivre passaient outre.

Je n’oublierai jamais ses aventures dans les jardins de la Ménara ni ses histoires de caserne plus tard car il me les a racontées mille et une fois pour que je m’en souvienne toujours. 

Ce monde a disparu et la génération de mon père quitte la scène sur la pointe des pieds. Telle est ma double-peine : je suis orphelin deux fois, de mon père et des souvenirs de cette époque magique que l’on enterre avec lui.

Aujourd’hui, le Maroc compte 34 millions d’habitants dont la moitié a moins de vingt-cinq ans. Parmi eux, rares sont ceux qui ont vu un juif en chair en os. Bien malgré eux, ils sont « déformés » par un système éducatif qui pénalise la curiosité et promeut la frustration. Et ils sont nombreux à voir dans le juif le soldat de Tsahal qui parle fort et tire des grenades lacrymogènes pour un oui ou pour un non.

Quel dommage !

Un pays qui ne connaît plus son histoire se condamne à vivre en dehors d’elle, spectateur du succès des autres et inconscient de ses propres errements. Le Maroc a tout à gagner d’une collaboration franche et d’égal à égal avec Israël.

Vos élites peuvent nous aider à nous retrousser les manches pour enfin faire face à nos principaux défis. Je me réfère ici à des questions cruciales qui décideront du futur du Maroc.

  • La souveraineté marocaine est contestée sur les provinces dites du sud, c’est-à-dire les territoires sahariens jadis sous domination espagnole (jusqu’en 1975). Il s’agit d’une opération de déstabilisation qui répond avant tout à une lutte d’influence stérile entre Rabat et Alger. En tout cas, nous Marocains sommes extrêmement sensibles à tout geste allant dans un sens favorable à notre « cause nationale ».

  • Le Maroc – comme tous les pays arabes – a raté le virage de mondialisation. En dépit de bonnes performances à l’export (notamment dans l’aéronautique), le pays n’a pas réussi à faire exploser les verrous qui entravent sa productivité. Nous sommes toujours un pays périphérique, massacré par la misère et qui dépend des subsides des pays du Golfe Persique pour financer ses grands projets (barrages, villes nouvelles, etc.). Aux portes de l’Europe, le Maroc affiche encore un PIB par habitant dix fois inférieur à celui observé en Espagne.

  • La Jeunesse marocaine est de plus en plus consciente des impasses du système économique et social. Elle ne supporte plus de voir sa vie gâchée par la pauvreté et l’analphabétisme (un adulte sur trois).

  • L’eau se raréfie. Selon les chiffres officiels, la nappe phréatique du plateau du Saïs – le grenier du Maroc niché entre Fez et Meknès – a baissé de quatre-vingt-dix mètres en trente ans. Dans mon village d’origine, Bhalil (province de Sefrou), des sondes gigantesques vont chercher l’eau à plus de deux cents mètres de profondeur.

Le Maroc a tout à gagner d’un rapprochement intelligent et réaliste avec Israël car l’expertise israélienne dans les domaines que je viens de décrire n’est plus à démontrer. Les juifs marocains qui vivent en Terre Sainte s’entendront avec les jeunes de Tanger et d’Agadir, que ce soit en Français, en Arabe dialectal (darija) ou dans une langue berbère. Ils partagent la même tendresse pour une vieille terre qui a vu leurs aïeux vivre ensemble et affronter, bon an mal an, les vicissitudes de l’Histoire.

De toute façon, nous les Marocains avons plus en commun avec un Portugais ou un habitant du Golan qu’avec un Alsacien ou un Letton. L’Union européenne – notre principal pourvoyeur de technologies et d’aide au développement – regarde plus vers l’Est que vers le Sud ; nous leur parlons de prospérité, ils nous répondent Sécurité et Immigration. 

Je crois fermement dans le rôle de passeur d’idées que pourrait jouer Israël entre Occident et Orient et surtout entre Union européenne et Maroc. Rien de bien nouveau quand on se souvient du rôle des Juifs dans l’Andalousie Musulmane du Xe siècle.

Bien entendu, il y a le conflit israélo-palestinien dont les soubresauts sont autant de spasmes qui réveillent les haines réciproques. Il y a aussi les déclarations outrancières de certains politiciens israéliens à l’égard des Arabes. Et je dois reconnaître aussi que nos élus tant au Maroc qu’ailleurs dans le monde arabe ne brillent pas par leur audace. Qu’importe, il faudra faire avec. Se chamailler lorsqu’il le faut et travailler le reste du temps.

Certains agissements du gouvernement israélien sont insupportables, comptez sur des gens comme moi pour vous le rappeler. Je préfère vous faire des reproches les yeux dans les yeux que de sous-traiter mon indignation à des incultes qui veulent me faire croire que je n’ai qu’un seul choix : vous détester en public pour vous admirer en privé.

Un programme du type Erasmus pourrait mettre en relation nos universités donc nos futures élites. Un territoire « neutre » pourrait accueillir des étudiants marocains et leurs confrères israéliens pour faire de la Recherche Scientifique, cela pourrait se passer en Andalousie (beau clin d’œil au Passé), en France ou en Amérique du Nord.

Pourquoi ne pas commencer par l’eau et l’agriculture ? Dans le Coran, Dieu fait grâce aux bienheureux qui ont rejoint le Paradis (janna) en leur offrant la jouissance d’arbres magnifiques dont le grenadier, le palmier, la vigne, l’acacia et l’olivier. Voir les enfants d’Abraham ressusciter les jardins de Sefrou et de Marrakech serait un beau symbole et un combat qui en vaut la peine.

Comme rien ne se gagne aujourd’hui sans l’aide des médias, il serait opportun de créer un vecteur de communication destiné aux Marocains, dans leur langue et au plus proche de leurs préoccupations. S’il s’agit d’une télévision, ses programmes seront en Arabe dialectal et dans une langue berbère (attention, il y en a plusieurs).  

Sa ligne éditoriale donnera une large place à l’information locale, un no-man’s-land où ni les chaines officielles ni Al Jazeera ne s’aventurent par manque d’intérêt et de cadres qualifiés. C’est pourtant là que se jouera la prochaine révolution de l’information au Maroc car le public est avide d’un journalisme sérieux et qui colle à « la vraie réalité ».

Le simple fait de voir le journal télévisé présenté par un Marocain ou une Marocaine répondant au nom de Haim ou d’Esther ouvrira les yeux à une jeunesse qui ne connaît du judaïsme que l’opération « Plomb Durci ».

Il faut faire vite. J’avais quinze ans lorsque Yitzhak Rabin a été assassiné et avec lui l’espoir de la Paix (1995). Nous avons perdu les vingt ans qui ont suivi cet épisode tragique. A chaque fois, nous avons été pris en otages par des extrémistes qui ont défendu leur agenda mieux que nous. Ne perdons pas de temps. Et qui sait, si nous commençons maintenant, peut-être que nous mangerons les fruits tombés des arbres du Paradis, entourés de nos êtres les plus chers, dans cette vie ou dans une autre.

 

Driss est un jeune auteur de 37 ans. Il possède une solide formation académique française (EDHEC Lille et Ecole Centrale)

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