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Le secret du rav Bokobza

 Le secret du rav Bokobza

 

Le silence s'est fait dans la grande salle centrale de la synagogue Bichi de Tripoli en ce 22 avril 1928, le moment est solennel, le grand rabbin Yitshaq 'Haï Bokobza va prononcer en hébreu un texte du rituel et donner ainsi sa bénédiction au souverain d'Italie Vittorio Emanuele III (1869-1947), accompagné de la reine Elena di Montenegro (1873-1952), son épouse. 

Depuis, le 5 novembre 1911, la Lybie tripolitaine et la Cyrénaïque sont passées sous contrôle italien malgré une forte résistance turque et Sanussi. Mussolini, installé au pouvoir depuis 1922, réprime durement toute tentative de rébellion locale et en 1928, il est grand temps que le souverain italien vienne enfin rendre visite au nouveau territoire lybien de son royaume. 

La forte communauté juive de la ville a vivement souhaité l'installation de la puissante Italie et apprécie tout particulièrement le souverain catholique. Aussi lui rend elle un vibrant hommage depuis son arrivée. Parades militaires, diners officiels, cérémonies religieuses se sont succédés depuis le 18 avril et la communauté israélite ne sera pas en reste. 

Le grand rabbin Bokobza est né en 1853 à Gabès dans le sud tunisien, c'est donc un homme âgé de 75 ans qui accueille les souverains d'Italie et les hauts dignitaires du royaume. 

Toute sa famille était connue à Gabès pour être particulièrement respectueuse des traditions religieuses juives dans une communauté qui était réputée avoir transmis les premiers et les plus purs enseignements du Temple de Jérusalem après sa destruction par les romains de l'empereur Titus et la grande dispersion qui s'en suivit.

Ayant survécu à toutes les invasions, à tous les sévices et humiliations grace à sa très forte cohésion, la communauté juive de Tunisie a eu à coeur de maintenir scrupuleusement cet enseignement en formant des rabbins d'une grande culture. (2)

Sa mère Esther, dit-on, rêva qu'elle allait mettre au monde un grand rabbin. Alors qu'elle attendait Yitshaq, elle appliquait scrupuleusement toutes les règles de la torah et des mitsvots, toutes les ablutions et prières préconisées avant chaque grande action, récitant régulièrement des psaumes pour l'édification de l'âme de son enfant à venir. Ainsi, elle ne mangeait rien sans prier pour que cette nourriture soit pure et profite à son enfant, de même, elle ne l'allaita jamais sans prier avant.

Aussi, le petit Bokobza grandit-il dans une atmosphère de soumission à la Loi, d'études et de culture, transmise par ses parents et les vieux sages de Gabès comme les rabbins Abraham et Fradgi Allouche qui l'initièrent aux secrets ancestraux de la Kabbale hébraïque. Science ésotérique englobant toute la compréhension du vivant dans ses mécanismes les plus secrets et ses rapports étroits avec le Divin, la Kabbale donnerait à ses adeptes de surprenants pouvoirs modérés par leur grande sagesse.  Son père l'emmène également avec lui à Tunis où le jeune homme étudie chez le rabbin Abraham Hagege, un autre grand érudit de la communauté.

Les photos qui nous sont parvenues d'Yitshaq 'Haï Bokobza nous montrent un homme au regard ouvert et intelligent, au visage serein. Il devient donc le Rav de la communauté de Gabès, sa plus haute instance morale, référence en terme de loi et de religion.

En 1926, à près de soixante treize ans, Il est nommé grand rabbin de Lybie. Et c'est alors un érudit et un sage à qui l'on sait pouvoir faire toute confiance dans les rapports qu'il devra avoir avec les autorités locales dans une situation difficile.

 

Une autre photo, transmise de génération en génération, nous le montre assis parmi les officiels de Tripoli, musulmans, turques et italiens. 

 

La réception de Vittorio Emanuele III et la forte impression que fit le rabbin sur le souverain ont encore affermi sa position dans la cité. Et c'est donc très légitimement qu'il reçoit une invitation officielle à assister au mariage du fils du roi, Umberto II (1904-1983) qui sera le dernier et éphémère souverain italien en 1946. Sa future épouse est la gracieuse Marie-José de Belgique, les noces se dérouleront le 8 Janvier 1930 dans la chapelle Pauline du Palais du Quirinal, à Rome. Les festivités seront grandioses...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En 1930,

(Documents photos familles Hania et Besser)  

 

 

 

La délégation lybienne n'est certes pas la seule à avoir ainsi été invitée et il n'y a rien d'exceptionnel au fait que notre rabbin Bokobza fasse également le voyage à Rome. Des photos d'avant cérémonies nous montrent plusieurs délégations des territoires de l'empire colonial italien, Somalie et Erythrée en chemin vers le Palais. L'une d'elles, extraite du site http://senato.archivioluce.it/ nous donne à voir précisemment la délégation lybienne, composée d'une bonne trentaine de personnes dont très certainement le rav Bokobza fut le membre le plus avancé en âge.(3)

Si la famille royale d'Italie organise de si somptueuses cérémonies, l'historien ne se trompe plus aujourd'hui à de telles manifestations et sait que le véritable maître de l'empire est l'ambitieux et sombre Benito Mussolini. Partout dans le pays, se dressent les faisceaux qui donneront leur nom au terrifiant mouvement du nationalisme italien. Mais, on feint encore de croire que le roi a quelque pouvoir et le faste de ce mariage sera le dernier d'une telle ampleur. Provenant de toutes les provinces d'Italie, des défilés folkloriques sont organisés devant le couple royal .

 

A partir de cette cérémonie, il nous faut faire confiance à la tradition familiale du grand rabbin qui nous rapporte que, se souvenant de sa visite à Tripoli et de la cérémonie de bénédiction, le souverain Vittorio Emanuele III a tenu à recevoir en audience privée le sage de Gabès. Cela n'aurait rien de bien étonnant au fond. 

Le pape Pie XI, de son vrai nom Ambrogio Damiano Achille Ratti (1857-1939) était lui aussi, un docte érudit. Il avait passé une grande partie de sa jeunesse dans les bibliothèques et prona tout au long de son pontificat la réconciliation oecuménique, dénonçant avec un courage qui semble l'avoir conduit à être assassiné le fascisme et l'anti-sémitisme de Mussolini. Il n'y aurait rien d'étonnant non plus à ce qu'il demande à voir et à entendre un gaon (4) à qui l'on accordait la faculté de communiquer avec l'au-delà et les défunts et que tout le monde s'accordait à reconnaître comme un puits de science. (5) 

 

 

 

 

 

Yitshaq Bokobza, le troisième à partir de la droite

 

(Documents photos familles Hania et Besser)  

 

 

 

 

 

En signe de reconnaissance et de respect, nous dit encore l'histoire de la famille Bokobza, Pie XI et Victor Emmanuel proposèrent très certainement au grand rabbin de visiter une des caves secrètes du Vatican et de retrouver (ce qui devait être très cher au coeur du kabbaliste) quelques objets sauvés des pillages barbares issus du dernier temple de Jérusalem. On peut supposer que le grand âge d' Yitshaq 'Haï Bokobza, soxante dix sept ans a du inciter le souverain pontif à autoriser cette visite mais la discrétion qu'il a du exiger a très certainement été un autre élément déterminant. 

Il faut savoir que les seuls les membres de la tribu des Lévi ou lévites Cohen pouvaient approcher et toucher ces objets sacrés ( Arche d'Alliance, candélabres, pains, grenades...) on comprend alors l'émotion de notre pauvre rabbin à la vision de ces symboles de sa foi. 

 

Il rentra donc chez lui et la mémoire familiale nous dit qu'il ne tarda pas à tomber malade et à décéder. 

Il reste à préciser à quelle date exactement mourrut le saint homme et de quoi, mais il est fort probable que ce qu'il venait de vivre l'ébranla fortement.

 

En conclusion, et après avoir entendu les témoignages des descendants du rabbin, il me parait tout à fait possible que toute cette histoire, amplement recopié et déformé sur Internet soit effectivement authentique. On ne saurait soupçonner le sage de Gabès d'avoir menti par calcul politique ou religieux et son existence a elle seule plaide pour sa totalité intégrité intellectuelle. D'autre part, nous avons vu qu'il est historiquement tout à fait concevable qu'en effet une partie des trésors religieux du Temple ait pu être sauvegardée par le Vatican.

Dans tous les cas, la dissimulation et la mise sous équestre, pour ne pas dire le recel de trésors du patrimoine religieux humain ne peuvent être que dénoncés. Si elle s'avérait un jour exacte, cette dissimulation nuirait gravement à l'intégrité morale d'une curie romaine plus souvent sujette à la réprobation et au scandale qu'à l'édification des âmes de ses fidèles de moins en moins nombreux. 

Le silence ne peut que laisser place aux plus folles suppositions, dit-on.

Nous venons, je crois de comprendre qu'un faisceau de témoignages précis tend donc à nous faire croire au bien fondé de ces "rumeurs".

 

Christian ATTARD

qui remercie les familles issues du rabbin Bokobza pour leur aide à la rédaction de cet article.

Notes et sources

(1) Source la revue L'Italia in Africa: Comitato per la documentazione dell'opera dell'Italia in Africa, Massimo Adolfo Vitale. 

Mais aussi, la série de clichés datés et visibles sur ce site : http://senato.archivioluce.it/

Malheureusement, la totalité des sites internet qui se sont fait l'écho de cette visite du roi d'Italie à Tripoli se sont fourvoyés sur sa date, se recopiant les uns les autres. 1923 pour Simon Epstein  dans son livre : "1930, une année dans l'histoire du peuple juif " ! 1929 ou 1930 pour les autres sites.

(2) Voir à ce propos le livre écrit par le Rabbi Benjamin Cohen et dont le titre est "Le Malkhé Tarchich".

Il recense plus de 1000 rabbins de Tunisie mais n'existe qu'en hébreu.

(3) Malheureusement, le détenteur de ces images Cinecittaluce.it m'en demandait bien trop cher pour je puisse les montrer ici ! Chaque photographie, même sur ce site entièrement gratuit et sans publicité m'était facturée en droits plus de 60 Euros !!

(4) Un sage, un rabbin eminent.

(5) Voir à ce propos le témoignage rapporté dans l'ouvrage du Rav Raphaël Pinto : "Une âme, une vie" - Biblieurope 2008. Page 253. repris d'une introduction au livre du "Guinzé Bérakh", Pirouche (commentaire) sur le Zohar (texte lui-même de commentaires ésotériques) dus au rabbin Bokobza. Il y révèle qu'ayant révé d'un homme réincarné en taureau, il libéré à sa demande ce malheureux en sacrifiant le taureau indiqué par son songe. La bête lui retrouvé sur le marché, lui ayant donné tous les signes de reconnaissance perçus dans son rêve. 

Source : http://reinedumidi.com/rlc/Pillards2.html

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