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JUIFS FRANÇAIS DE JÉRUSALEM : LA VIE EN ÉTAT DE SIÈGE

JUIFS FRANÇAIS DE JÉRUSALEM : LA VIE EN ÉTAT DE SIÈGE

 

 

 

Certains ont quitté la France par choix. D’autres devant la montée de l’antisémitisme. Mais, pour les Français de Jérusalem la peur est désormais permanente et le danger imprévisible.

Le matin, quand elle repasse les habits de son fils Raphaël, 5 ans, Yaël Benhaïm en mémorise tous les détails. Elle s’efforce aussi de retenir l’emplacement des grains de beauté sur son corps. « Au cas où il arrive un drame et qu’il faille l’identifer », avoue-t-elle, embarrassée de ne pas maîtriser cette angoisse qui la ronge. Yaël est née à Strasbourg, où son père était rabbin. Elle s’est installée à Jérusalem il y a dix ans et se considérait jusque-là comme une optimiste, du genre à croire en la coexistence d’Israël et d’un Etat palestinien. Elle et son mari, avocat, ont choisi de vivre dans un quartier mixte de la Ville sainte, l’élégant Abu Tor, le seul où cohabitent des juifs et des musulmans, mais ils appartiennent les uns et les autres aux catégories aisées. On y retrouve aussi les correspondants de la presse étrangère et les responsables des ONG internationales. Yaël a peur pour son enfant. Elle a peur pour elle. Quand elle attend le tramway qui l’emmène au centre d’appels franco phone où elle est chef d’équipe, elle prend soin de se tenir à l’endroit qu’elle juge le moins exposé. Et elle a peur pour son mari. Avant le dîner de shabbat, il lui a proposé d’aller faire quelques courses chez l’épicier arabe de la rue, mais elle l’en a dissuadé. Elle n’a pas confance. Bref, Yaël Benhaïm ne se sent plus en sécurité. Elle marche dans Jérusalem avec le sentiment pénible d’être une cible. En même temps que le crachin glacé de l’hiver, un brouillard poisseux s’est abattu sur la ville. La peur.

Le 18 novembre, deux cousins palestiniens armés de hachoirs et d’une arme à feu s’introduisaient dans la synagogue d’un secteur ultra-orthodoxe de la partie ouest de la ville. A l’heure de l’offce du matin, ils tuaient cinq personnes avant d’être abattus à leur tour. Les victimes : des Juifs religieux qui appartiennent à un courant du judaïsme plus porté sur l’étude de la Torah que sur la colonisation. Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle le massacre a marqué les esprits ; la seconde est que ses auteurs ne sont pas des étrangers. L’un d’eux travaillait depuis des années comme homme à tout faire dans le quartier. Ils sont des milliers, ainsi, que l’on remarque à peine, des hommes qui débarquent le matin avec, à la main, le petit sac en plastique noir renfermant pitas et olives, pour venir balayer le trottoir, décharger les camions ou réparer un mur, puis repartent à la nuit tombée. Ces anonymes auxquels on ne prêtait pas attention et que, désormais, on scrute parce qu’ils ont l’apparence de l’ennemi intérieur, celui qui fait revivre le souvenir des bombes humaines de la seconde Intifada, au début des années 2000. Cette période, Myriam Perez, 28 ans, se souvient l’avoir traversée avec insouciance.

LA QUESTION ARABE AGIT, CES JOURS-CI, COMME UN CHIFON ROUGE DANS L’ARÈNE ISRAÉLIENNE

Adolescente tout juste arrivée de France, elle courait alors de manifestations en enterrements sans avoir conscience d’être elle-même mortelle. Ce n’est plus le cas une décennie plus tard, alors qu’elle est mère de deux enfants. « Dans la rue ou même dans ma voiture, quand je vois un Arabe près de moi, je suis parfois prise de panique. Comment savoir s’il ne s’apprête pas à me tuer ? » dit-elle en évoquant le sort des onze Israéliens qui, en novembre, ont trouvé la mort dans des attaques à l’arme blanche ou écrasés par des voitures béliers. Avec son mari, Elie, qui a quitté Paris il y a dix ans, elle vit à Baka, un quartier tranquille, prisé des familles sionistes religieuses. Des gens modérés qui n’imagineraient pas s’installer dans les secteurs palestiniens de Sheikh Jarrah, de Silwan, du mont des Oliviers ou dans la partie musulmane de la vieille ville, comme ceux qui rachètent à prix d’or les maisons arabes pour participer à l’édifcation du « grand Jérusalem » et rendre ainsi impossible une partition future. Ceux-là ont pratiquement atteint leur objectif. Comment imaginer Jérusalem devenant la capitale d’un Etat palestinien avec Har Homa au sud, au nord et à l’est, les banlieues dortoirs de Pisgat Zeev, Maale Adoumim, et le mur de sécurité ? Les 260 000 résidents palestiniens – plus du quart de la population – sont désormais coupés du reste de la Cisjordanie.

A Jérusalem plus que partout ailleurs, juifs et musulmans semblaient pourtant condamnés à vivre ensemble. Dans le tramway inauguré il y a trois ans, au « shouk » (marché), dans les hôpitaux ou les centres commerciaux, les deux communautés coexistaient jusqu’à l’été dernier. Sans illusions mais sans heurts. Tout a basculé avec l’enlèvement et le meurtre de trois jeunes Israéliens, cet été, suivis de l’assassinat d’un adolescent musulman, de la guerre de Gaza, et d’émeutes qui n’ont jamais vraiment cessé. Une spirale infernale dont Mazeb Jobda, le chauffeur de taxi arabe qui parcourt depuis quinze ans Jérusalem au volant de sa Mercedes, connaît le prix : les 100 shekels (20 euros) qu’il gagne désormais par jour, soit quasiment rien, surtout lorsqu’on a six enfants. Des clients arrêtent sa voiture mais depuis quelques semaines, ils refusent de monter quand ils le découvrent. Restent les vendredis soir : « Quand les taxis juifs ne travaillent pas, alors ils font moins les difficiles. » Mais même pour quelques shekels de plus, Mazeb Jobda n’ira plus se risquer place de Sion, en plein centre-ville.

C’est le point de ralliement des ados juifs. La plupart sont inoffensifs, mais certains lui font peur, il sait qu’ils se lanceraient volontiers dans une chasse aux Arabes. Lorsqu’un incendie criminel a fait s’embraser la seule école bilingue hébreu-arabe de Jérusalem, dans la nuit de samedi à dimanche 30 novembre, l’indignation a été quasi générale. Le maire, Nir Barkat, avait beau faire preuve de détermination et répéter : « Nous ne laisserons pas les pyromanes et ceux qui se font justice eux-mêmes menacer notre vie quotidienne », personne n’y a cru. La question arabe agit, ces jours-ci, comme un chiffon rouge dans l’arène israélienne. Le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, risque la chute de son gouvernement pour faire adopter une loi réaffrmant le caractère juif de l’Etat d’Israël, remettant ainsi en cause un fou juridique de plusieurs décennies. Même le très populaire chanteur Amir Benayoun, ajoute sa voix à ce concert général : dans son nouveau titre, « Ahmed aime Israël », il met en musique l’histoire d’un jeune Arabe israélien auquel il prête des projets d’attentat. « Qui bénéficie, comme moi, du meilleur des deux mondes ? » disent les paroles. « Aujourd’hui je suis modéré et souriant / Demain… j’enverrai en enfer un Juif ou deux. »

 

"VOUS DEVREZ ÊTRE DISPONIBLES QUELQUES HEURES PAR MOIS POUR MONTER LA GARDE DEVANT LES CRÈCHES"

Jabel Mukaber, le quartier palestinien où vivaient Ghassan et Oudaï Abou Jamal, les assassins de la synagogue de Har Nof, est interdit aux véhicules par de gros blocs de béton. La rue en pente qui mène aux maisons des terroristes est encore jonchée de cartouches de grenades lacrymogènes ; elle a longtemps empesté le « skunk », ce liquide aux relents d’excréments et de charogne utilisé pour disperser les émeutes. Mais à quelques pas, sous la tente de deuil – des bâches tendues dans une cour –, certains n’ont pas renoncé à justifer l’acte unanimement condamné. Al-Aqsa, la mosquée qui s’élève au-dessus du Mur des lamentations, au coeur de la vieille ville, est leur argument : « Ils sont tombés en martyrs pour empêcher les Juifs de souiller nos lieux saints », répètent-ils. Les Palestiniens soupçonnent les radicaux juifs de vouloir leur prendre leur mosquée pour y reconstruire l’ancien Temple du royaume de Judée, celui dont l’édifcation devrait hâter la venue du Messie. C’est faux, mais c’est ainsi que s’attisent les haines. Un jeune au crâne rasé, entouré de ses copains, affche la satisfaction de qui découvre le goût de la vengeance. « Maintenant, c’est eux qui ont peur de nous. »

En touchant au sacré, le différend israélo-palestinien ne risque-t-il pas, du coup, d’être happé par le tourbillon djihadiste de l’Etat islamiste qui ensanglante la région ? C’est en tout cas la conviction du député des Français établis hors de France Meyer Habib, l’un des plus farouches opposants à la reconnaissance de la Palestine votée par l’Assemblée nationale la semaine dernière : « L’erreur, c’est de croire qu’il s’agit d’un confit territorial alors qu’il est religieux. » « C’est au nom de cette même guerre de religion que les juifs sont pris pour cible en France et à Jérusalem », prévenait d’ailleurs ce parlementaire UDI après l’agression antisémite d’un jeune couple, suivie d’un viol, à Créteil. Les autorités israéliennes ne cachent pas leur impuissance face aux attaques spontanées menées par ces parfaits inconnus. A la différence des branches armées du Fatah et du Hamas, qu’il est toujours possible d’infltrer, comment savoir ce qui se passe dans la tête d’un père de famille qui, un beau matin, décide de jeter sa voiture sur la foule ?

Dans l’urgence, il a donc été décidé de faire appel à des volontaires. Quelques heures après l’attentat contre la synagogue, les habitants de Beit Hakerem, un des derniers bastions laïques de la ville, recevaient un SMS les invitant à rejoindre la garde civile. Le lendemain, en fn d’après-midi, une quinzaine d’hommes et de femmes entre deux âges se retrouvaient dans une salle du centre communautaire pour écouter Raf Avidan, le directeur, leur expliquer leur mission : « La police ne peut pas protéger tous les lieux publics. Beaucoup de Palestiniens travaillent sur les chantiers du secteur. Vous devrez être disponibles quelques heures par mois pour monter la garde devant les crèches et les synagogues. » Sans manifester d’enthousiasme excessif, chacun a signé son engagement et la réunion a pris fin sur cette promesse : ceux qui souhaitent s’armer pourront bénéfcier d’une procédure accélérée pour leur permis de port d’arme. Ce sont les nouvelles instructions officielles. Jérusalem, la Ville sainte, s’abandonne à ses démons. Les représailles des uns répondent aux attentats des autres. De l’autre côté de la Méditerranée, est en train de naître un nouveau Belfast.

 

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL À JÉRUSALEM EMMANUEL MORTAGNE

PARIS-MATCH

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