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Dieu m'aime! par Henri Levy

 

Dieu m'aime!

 

Je le sais bien, car depuis ma naissance Il n'a eu de cesse de me le prouver.

J'ignore pourquoi je bénéficie de cette divine et si particulière attention, mais c'est ainsi.

Quels ont été les mérites de mes ancêtres pour qu'ils soient si proches de Lui et qu'ils aient obtenu pour moi sa grâce bienveillante?

Qu'ont-ils pu faire de si méritant pour que je sois le récipiendaire d'une telle sollicitude?

Et Pourquoi moi particulièrement?

 Je n'en sais rien.

Peut-être le saurai-je un jour lorsque je passerai de l'autre côté du miroir, lorsque je traverserai le Phison pour les rencontrer, ou alors ne le saurai-je jamais si d'aventure je me noyais dans le Styx ou le Lethe.

Pour l'heure je jouis et me réjouis toujours de cet avantage.

 

A ma naissance, Il était déjà penché sur mon berceau.

La preuve.

Mon premier bonheur fut de n'être pas né avec une petite cuiller en or dans la bouche.

J'ai eu mieux que ça! Bien mieux.

Je suis né en 1948, juste après la guerre qui a déchiré l'Europe et éclaboussé de son feu mortel les pays d'Afrique du Nord.

J'ai ainsi évité les quelques affres et privations qui rendent le quotidien moins facile.

Mon deuxième bonheur fut d'être né au Maroc, un pays de cocagne. Réellement.

Et si je me fie à mes souvenirs, tout y était simple, beau, ensoleillé, abordable et accessible à tous.

Un pays riche de tout, idéal pour les humbles. Une vraie corne d'abondance...Un paradis sur terre.

Mon troisième bonheur fut d'être issu d'une famille modeste, troisième enfant d'une fratrie de quatre. Deux filles, suivies de deux garçons.

Notre habitation à Casablanca, était juste simple, sans grand confort ni intimité, mais nous disposions d'un jardin fleuri et arboré, agrémenté d'un petit jet d'eau surmontant un bassin. Le fond de ce jardin abritait deux cagibis adjacents qui servirent à tour de rôle de poulailler, de débarras ou de cuisine.

Mille endroits secrets étaient les complices de nos jeux et de nos rêves.

Nous manquions de jouets?

Peu importe, nous les fabriquions.

Une boite d'allumettes, un petit morceau de papier et voilà un bateau viking qui cinglait sur l'eau du bassin.

Une vieille bobine de fil, un élastique, un cure-dent et voilà un char automobile capable d’escalader tous les petits obstacles.

L'imagination ne manquait pas et de nos petits doigts agiles nous fabriquions ou réparions nos trésors.

Nous n'avions pas grand-chose? Peu importe, nous le partagions sans calcul ni arrière-pensée, toujours avec joie.

J'ai, ancré en moi, le souvenir du cadeau que nous fit un jour l'une de nos tantes.

Une paire de patins à roulettes, à partager avec mon frère bien sûr. En fer les roulettes.

Les trottoirs, et nos oreilles se souviennent encore du bruit assourdissant que nous faisions, chaussé chacun d'un seul patin, un pied qui pousse, et l'autre qui roule. Une sorte de trottinette sans guidon! Une planche à roulettes avant l'heure.

L'air chaud rafraichissait nos joues humides de sueur et nous n'hésitions pas à nous lancer dans de longues escapades qui nous menaient invariablement au Parc de Jeux, un autre sanctuaire indissociable de mes souvenirs d'enfant et où nous passions de longues heures à courir de l'une à l'autre des installations gratuites, comme le téléphérique, le toboggan, la balançoire ou encore la souricière d'où nous devions nous extraire après nous y être enfermés. Les autres distractions, celles qui étaient payantes, nous ne faisions que les regarder avec rêve et envie. Pas de guignol, pas de tour de pistes en vélo, pas de barbe à papa... (J’aurai plus tard une revanche  particulière sur tous les vélos que je n'ai pas eu et qui ont souvent hantés cruellement mes nuits.)

Mais peu importait, nous étions heureux et libres dans notre univers.

 

C'est à cette époque, vers l’âge de cinq ou six ans que j'ai pris conscience de la valeur des choses, et a n'accorder aux biens matériels qu'une importance toute relative. Dans ma petite tête de môme je commerçais avec moi-même pour m'accommoder de ce que je n'avais pas. J'adoucissais la peine du manque par la revanche que j'aurai forcément plus tard, quand je serai grand. Dans ma petite cervelle j'avais tracé deux colonnes, à la façon d'un comptable. Débit, crédit. Je n'ai pas. J'aurai. Et la liste de gauche était longue.

J'ai adopté longtemps ce mode de fonctionnement, un moteur formidable, un carburant inépuisable et gratuit.

Il me semblait, de façon inconsciente, que l’on n’avait pas besoin de posséder pour être heureux. J'apprendrai plus tard que si posséder procure une satisfaction immédiate, dont on peut du reste se lasser rapidement, le rêve lui est une source intarissable d'envies qui tiennent au corps, s'accrochent aux tripes, occupent l'esprit et trempent le caractère.

Je n'ai depuis et jusqu'à ce jour jamais été viscéralement attaché aux biens matériels. Je peux tout gagner sans joie excessive ou tout perdre sans grand regret.

J'ai acquis avec le temps et l'expérience, la sagesse et le détachement sans toutefois mépriser les plaisirs liés aux objets possédés.

La vie est faite de haut et de bas.

L'inconvénient du haut c'est la situation de fragilité qui y est forcément attachée.

Les efforts à fournir pour y rester peuvent être  épuisants et la chute brutale peut être dramatique si l’on n’y est pas préparé. La plus haute marche n'est-elle pas une prison au même titre que n'importe quel autre espace réduit?

L'avantage du bas c'est celui du taquet. La moindre avancée nous en éloigne. Le plus petit objectif devient une source d'énergie, de motivation et d'enthousiasme.

Que peut faire l'alpiniste qui a vaincu le plus grand sommet après des mois d'efforts et de privations? Savourer sa victoire quelques minutes, graver cet instant dans sa mémoire puis redescendre. Tout en bas. Avant de s'engager dans un autre défi.

L'effort fourni pour atteindre un but est bien plus important que le but lui-même. C'est ici que se cache le bonheur.

C'est par la privation que mon imagination a germée et s'est développée.

Et c'est le manque ou l'envie d'avoir qui m'a donné la rage de vaincre et forgé le caractère.

Aujourd'hui après plus de soixante ans d'une vie bien remplie, je tire encore avantageusement les bénéfices de mes expériences.

 

Mon père est né à Mazagan et ma mère à Marrakech, autres perles de ce Maroc béni.

Je dirai peut-être, un jour, ce que fut leur couple.

Lorsque les circonstances s'y prêtaient, mon père aimait à nous rappeler que son propre grand père était le "Dayan" de Mazagan. Une sorte de Roi Salomon dont la grande culture et la sagesse, reconnues de ses pairs, lui octroyait le droit de juger et de trancher sur les questions religieuses et les conflits entre ses coreligionnaires.

Je crois bien que mon père en tirait une certaine gloriole, comme s'il s'appropriait les mérites de son aïeul. Comme si la renommée de l'un bénéficiait forcément à l'autre...Une espèce de vol à l’étalage en quelque sorte.

Nous avons toujours considéré cette affirmation comme vraie, sans pour autant l'avoir jamais vérifiée. Cependant, des recoupements récents donnent à croire cette allégation comme très probable.

 

Quand mon père nous parlait de son ancêtre, il nous disait invariablement avec une certaine gravité dans la voix et une profondeur dans le regard, trois mots en hébreu (cinq en français) qu'il accompagnait toujours du même geste de la main, comme pour bien en souligner l'importance. Et son propos en avait sacrément il me faut l’avouer. Du moins pour moi car je l'ai adopté instantanément. Quelque chose d'irraisonné, de fort, m'a fait admettre cet énoncé comme indiscutable. La lumière était là.

C'est une pensée qui s'assène comme une vérité incontestable, indéniable quand on l'écoute et qui a pénétré si profondément en moi, que j'en ai fait une règle de vie. C'est sans aucun doute le pilier fondateur le plus important de ma vie, de ma construction intellectuelle. Elle m'a toujours accompagnée, surtout dans l'adversité ou les périodes obscures de ma vie. J'ai la conviction que sans elle, j'aurais été autre, et que m'a trajectoire de vie eut été différente. C'est une rampe à laquelle je suis toujours agrippé.

Si mes ancêtres m'ont laissé une trace, c'est bien celle-là. S'ils vivent en moi, c'est par cette racine. Si Dieu s'est arrangé pour qu'elle me parvienne, c'est forcément qu'il veille sur moi!

Cette phrase, si importante pour moi, la voici en hébreu, telle que je l'ai entendue pour la première fois: "Im Khokhma, Tehi".

Traduite en français:  "Avec ton intelligence tu vivras (survivras)" !

J'ai solutionné bien des problèmes de ma vie, avec ce dénominateur commun, ce levier, en revenant toujours à cette référence. Mon fidèle et efficace fétiche en quelque sorte.

 

Une autre pensée m'a été transmise par la même voix, toujours en hébreu, et celle-là aussi est profondément ancrée en moi.

La voici dans sa prononciation vernaculaire: "Od Makom, Od Mazal".

En français: "Autre lieu, autre chance".

J'ai plusieurs fois eu l'occasion de la mettre à l'épreuve sans avoir jamais été trahi ou déçu.

Un de mes anciens amis, un certain Ch. D. Parisien qui menait une vie de névrosé, l'a entendue de ma bouche lors d'un déjeuner professionnel que nous partagions à Cannes. A cet instant, je n'ai rien perçu de la portée que cette pensée avait eue sur lui. A quel point il se l'était appropriée, à quel point elle l'avait pénétrée et réveillée sa conscience.

J'ai eu de ses nouvelles quelques mois plus tard. Il me téléphonait de Californie où il s'était installé, recommencé une nouvelle vie. Il semblait rayonnant. Tellement diffèrent de ce qu'il était quelques mois auparavant. Comme je m'étonnais agréablement  de ces bouleversements, il me dit avec une voix souriante que j'entends toujours: Tu te souviens de ce que tu m'avais dit à Cannes: "Od Makom, Od Mazal" eh bien voilà! Ça marche, merci.

Si sur cette terre un seul homme a pu bénéficier avantageusement de cet héritage ancestral, alors tous les espoirs sont permis et mes aïeux peuvent se réjouir où ils sont des bienfaits induits par leur sagesse.

 

 

Henri Levy

henrilevy.77@gmail.com

Quelques réflexions et souvenirs de ma vie.

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