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Au revoir monsieur Jo

Au revoir monsieur Jo

 

 

 

 

Nous venions d'un Orient qui ne ressemblait pas à celui que l'on nous assène aujourd'hui. Né à Alexandrie tu as vécu dans ce pays insouciant et libre. C'est là que tu as découvert et aimé cette liberté qui sera éternellement ta marque de fabrique.

Tu as appris l'arabe, toi le juif venu de Grèce, tu t'es mêlé naturellement  à ce peuple qui t'avait accueilli et que tu aimais. Ton père tenait la plus grande librairie francophone de la ville. En culottes courtes planqué derrière les rayonnages, tu as dévoré des tonnes de livres. C'est là, dans cet Orient compliqué qu'est né ton amour pour la langue française. C'est là que s'est précisé ton goût pour le mot juste, ciselé. Tu ne savais pas encore que tu écrirais de merveilleux textes de chansons, tu enrichissais sans le savoir le terreau.

Derrière cette image de sage que tu avais façonnée, il y avait un homme drôle et bon vivant

Nous venions tous les deux d'un Proche-Orient où l'on savait encore vivre ensemble, c'était notre lien, le ciment de notre amitié. Entre chrétiens, musulmans, juifs, les murs ne s'étaient pas encore levés. De ce monde aujourd'hui disparu, tu as gardé la nostalgie, toi le Métèque, refusant la mort de cet univers riche, tolérant et ouvert qui t'avait façonné.

Tu as chanté à Beyrouth, Tel-Aviv, Alexandrie, toi le juif qui parlait l'arabe, tu as été un messager, plaidé pour une terre pour les Palestiniens, pour le dialogue entre les peuples avec cette intelligence et cette finesse qui te caractérisait.

Chez toi dans ton appartement de l'Ile-Saint-Louis il s'en est passé des soirées entières à refaire le monde, autour d'un verre de vin. Tu chantais tes dernières chansons, nous nous racontions les petites aventures de la vie, on riait beaucoup. 

Derrière cette image de sage que tu avais façonnée, il y avait un homme drôle et bon vivant, qui aimait les femmes, qui aimait la vie. Un bourreau de travail qui prônait la paresse  pour brouiller les pistes, un homme curieux de tout, qui savait se remettre en question et vivre avec son époque.

Et tu partais léger, la guitare en bandoulière, chevauchant ta moto, pour un concert quelque part en Europe. Très simplement, il n'y avait aucune ostentation dans ta vie. Tu ne t'encombrais pas de faux semblants, tu avais choisi ton camp, celui de la création, de l'art sans cesse en mouvement, de la passion. Car sous tes allures nonchalantes, tu étais un homme de passion.

Un jour tu m'as dit : "C'est important l'élégance"

Lorsque tu t'es mis à l'accordéon, tu as travaillé jour et nuit, des mois durant, jusqu'à ce que tu maîtrises l'instrument. Pareil pour la peinture qui  t'accompagnera jusqu'à ton dernier souffle. Tes dessins avaient les couleurs lumineuses de cette Méditerranée que tu as tant chantée.

Exigeant, voilà encore un trait marquant de ton de caractère. On se souvient de tes colères, contre le travail mal fait, une langue galvaudée, où des imprécisions. Avec toi, il ne fallait pas se laisser aller, tu aimais la belle ouvrage, que l'on utilise les mots justes.

Un jour tu m'as dit : « c'est important l'élégance ». Celle du cœur, des sentiments bien sûr, mais aussi dans la manière d'être, de vivre. S'il y a un qualificatif qui te caractérise le mieux, c'est bien celui-là.

Cher Jo, c'est comme ça que nous t'appelions, tu vas terriblement nous manquer. Ta maladie t'avait éloigné, mais  le contact s'était maintenu par petits signes. Aujourd'hui, il va falloir apprendre à vivre avec le vide que tu vas laisser. L'Ile-Saint-Louis est inconsolable, son enfant prodige s'en est allé. J'ai aujourd'hui l'immense tristesse d'avoir perdu un ami de grande qualité, mais surtout celle de voir disparaître irrémédiablement, l'un des derniers témoins d'une époque où le Proche-Orient était synonyme de douceur, de culture et de tolérance.

Sylviane Moukheiber

 

 

 

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Georges Moustaki, de son vrai nom Guissepe Mustacchi, était né le 3 mai 1934 à Alexandrie, de parents juifs grecs immigrés en Égypte. Sa rencontre avec Georges Brassens sera déterminante dans sa carrière, il l’introduit à Saint-Germain-des-Prés, auprès d’un milieu d’artistes qu’il ne connait pas. Une grande amitié naîtra entre eux. Il prendra d’ailleurs le prénom de celui qu’il considère comme son mentor.

Il est l’auteur et le compositeur de plus de 300 chansons qu’il a écrites pour les plus grands. Un très grand poète et un artiste engagé nous a quittés…

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